Vos histoires de mer 13

L'idée est de raconter une histoire, étonnante, surprenante, drôle, qui vous est arrivée en navigation ou en escale.
Les règles : Gentillesse, tolérance, bon enfant, retour sur les histoires racontées.
Pas de nouvelle histoire avant la fin de la discussion sur l'histoire en cours.
Prenez votre temps, on risque d'être plus longtemps que prévu derrière nos écrans.
Suite de www.hisse-et-oh.com[...]-mer-12

L'équipage
30 sept. 2022
30 sept. 202230 sept. 2022

Ado, pour passer mon bac, j'ai quitté le bateau en Polynésie. Mon voyage de retour débutait à Bora Bora. A Papeete, j'avais à passer une nuit et je trouvais un bateau ami pour m'héberger.
C'était des américains de Seattle et pour la soirée, ils avaient invité un couple d'amis d'un bateau voisin venant de Wellington, en Nouvelle Zélande.
La discussion était animée, on parlait de politique, de cuisine, de navigation, tous dans le grand cockpit à picoler du vin blanc français. Soirée typique des tropiques sur nos voiliers .
Dans la nuit, la lune se lève. A Tahiti, vers 17°S, la lune se présente presque horizontale et la discussion se porte sur cette observation. Les nord américains disant qu'ils la voient chez eux habituellement presque verticale, le premier quartier coté gauche, alors que les kiwis, eux décrivent bien cette lune presque verticale chez eux aussi, mais avec le premier quartier à droite.
Cette discussion me passionnait, mais il commençait à se faire tard, le vin agissait et bien qu'à l'aise en anglais, je commençais à fatiguer. Et comme je prenais l'avion relativement tôt le lendemain à Faaa, je partais me coucher en laissant les anglophones à leur discussion.
J'ai pris mon avion UTA le lendemain matin pour un merveilleux voyage de retour qui me donna 2 jours au Hilton de Los Angeles avec ma voisine de siège pour cause de grève d'air France sur la suite du parcours. Une belle vahiné brune qui me fit me prendre pour Gauguin pendant ces 48h de plaisirs.
Quelque temps après, à Paris. Je révisais mon bac, faisais intensivement des exercices de math (j'avais 2 ans de lycée à rattraper en 2 mois). J'allais passer une après midi au Palais de la découverte et prenais une séance au planétarium. (Pour ceux qui ne connaissent pas un planétarium, c'est féerique). L'animateur, un thésard en astrophysique était passionnant. Il décrivait les mouvements du ciel, le trajet de la voie lactée, nous montrait le lever de Venus, de la lune… j'y passait un moment d'extase.
A la fin de la séance, j'allais le voir et lui décrivit ma soirée à Papeete. Pourquoi à Tahiti, nous voyions la lune presque horizontale, ceux de Seattle presque verticale dans un sens, ceux de Wellington dans l'autre sens?
Il me regarda. Nous étions seuls. Il m'installa dans un fauteuil bien sanglé, éteint toutes les lumière et alluma seule la lune dans le ciel. La lune était mi pleine.
Il me dit Seattle 50° N ? le siège s'inclina. Je voyais ce que voyait un habitant de Seattle, le croissant incliné vers la droite.
Papeete, 17°S ? Sur le siège, je me retrouvais la tête légèrement vers le bas. Le croissant de la lune était presque horizontal, légèrement incliné.
Pour Wellington, 41°S , j'avais presque la tête en bas et je voyais le croissant de lune incliné vers la gauche .
Quand il ralluma, qu'il eut remis le siège droit, il me dit « T'as compris ? » « OK, la terre est ronde ».

30 sept. 2022

Ah, le Palais de la Découverte, quel lieu magique
Merci pour cette histoire 👍

01 oct. 2022

Oui detruit pour laisser place au spectacle et au merchandisings

11 oct. 2022

Puisqu'apparemment tu fréquentes régulièrement la Martinique, renseigne toi auprès du Carbet des Sciences. Parmi leurs outils d'éducation populaire et de vulgarisation scientifique ils ont un planétarium itinérant. Une bulle de 6 mètres de diamètre dans laquelle on vit une super expérience ! A voir s'ils peuvent de nouveau la mettre en action, elle était indisponible pour cause de restrictions sanitaire il y a peu encore..
J'ai beaucoup travaillé avec eux dans le domaine de l'alimentation et j'apprécie énormément leur travail :
www.carbet-sciences.com[...]nerant/

Philippe

17 fév. 2023

Bonjour
Il me semble que l'on pouvait passer le bac a Tahiti a cette époque non?

17 fév. 2023

Je sais pas. Sans doute, oui.

17 fév. 2023

Oui car les sujets se trouvaient dans les annales, vieux souvenir du bachotage ....

17 fév. 2023

Et à cette époque il n'y avait pas la marina et les bateaux tourdumondistes comme Moitessier a cul sur la route du front de mer, non?

17 fév. 2023

Oui, mais il y avait un petit square à un endroit qui nous séparait de la route. (C'était pas une 2x2 voies). Et le soir, on se retrouvait là.

30 sept. 2022

Pour des jolies histoire, il y a un type au grand pavois qui a un via 42 qui vend 3 bouquins.....c'est très drôle et très réaliste.

30 sept. 2022

Georges?

02 oct. 2022

Parlant de la lune...En juillet 1975 nous étions en train d'approcher Irlande après une vingtaine de jours en mer. Le Capitaine utilisait un système Loran pour naviguer - dernier cri à l'époque où il n'y avait pas encore de GPS. Il annonçait que le Loran nous mettait à environ 200 miles de la côte et qu'on devait attendre encore un ou deux jours avant d'y arriver. Ce soir là j'ai pris le sextant pour essayer une vise sur la lune qui m'a semblé assez précise, mais je n'ai pas eu le temps pendant mon quart pour faire les calculs. Sous spi le lendemain je suis allé devant pour ranger un foc qui se dégringolait un peu sur le pont quand le spi s'est levé pour dévoiler la terre à environ 20 miles. Après avoir fait les calculs, le sextant s'est montré plus exact que le Loran à 2000 miles de la côte américaine.

15 déc. 202215 déc. 2022

Comme le Decca, le Loran ne donnait pas de position (sinon sur des couubes reportées sur les cartes papier.) On croisait les infos/courbes de deux émetteur sur la carte (comme en gonio) et on obtenait un position approximative (selon la justesse de l'observation et du tracé). Plus probablement c'est la traduction sur la carte (spécifique), faite par ton skipper, qui était trop approximative ;)

04 oct. 202204 oct. 2022

Leçon de vente de bateau à l’usage de ceux qui n’ont pas de chance !

Un fil en haut de page me donne l’idée de raconter ici la vente de trois de mes bateaux, ayant eu lieu de façon inattendue, en tout cas pas comme on imagine le processus de vente « standard ». Prise de rendez-vous, visite approfondie, « délai de réflexion », négociation, signature, engagement et paiement d’une partie du prix convenu, vente définitive.

Le premier voilier de cette short list, est un Mousquetaire CMN, qui accusait son âge. Je l’ai acheté avec les sous d’un prêt étudiant, accordé par un banquier voileux… Saint homme ! J’avais tout juste 20 ans, pas un sou en poche, mais j’étais prêt à m’endetter et à mettre dans l’embarras mes parents, cautions nécessaires au prêt, pour satisfaire mon désir de poser le derrière sur mon propre voilier de croisière. Si je n’avais pas pu rembourser, mes vieux en auraient été de leur poche. Ce n’est pas le genre de dilemme qui empêche les jeunes de dormir !

Trois ans d’apprentissage, d’errements, de progrès, échouements et un naufrage plus tard, j’ai envie du mètre de plus, alors même que je suis tout juste diplômé et n’ai pas encore reçu mon premier salaire et encore moins remboursé le prêt consenti par ma banque. Nous sommes fin juin, j’embauche en septembre et ne recevrai donc mon premier salaire que dans trois mois.

C’est un problème ? Non, alors je décide de vendre tout de suite, en rentrant d’une énième virée à Chausey ou à Bréhat. Je trouve un bout de bois à peu près rectangulaire. J’écris « à vendre » et je ficelle le truc au balcon en arrivant au Béchet, le port d’échouage de Saint Briac, sur la côte d’Emeraude. Je fixe la belle paire de béquilles en bois moulé bicolore que j’ai fabriquée, et je m’octroie une sieste… mais non, ça frappe au bordé.

Je n’ai pas dormi longtemps car l’eau descend vite et le Mousquetaire est tout juste échoué. Je sors la tête par la descente, et un gars à l’air avenant et bien plus âgé que moi debout les pieds dans l'eau, me dit tout son intérêt pour mon bateau.
- Combien je le vends ? Heu… Je n’y ai pas encore réfléchis, mais le calcul est vite fait. Un bateau acheté 18 milles francs, des fonds refaits dans les règles par des charpentiers de marine, une peinture de coque impeccable et un accastillage neuf.
- 25 milles ?
- Parfait, attends, je vais chercher mon chéquier dans la voiture.

Voila comment j’ai vendu en 20 minutes mon voilier après avoir griffonné un vague, très vague acte de vente sur une feuille de papier qui trainait dans l’équipet de la table à carte.

L’épilogue de cette histoire est un coup de fil des douanes de saint Brieuc à mon père, une semaine après la vente :
- Il est jeune, votre fils qui a vendu son Mousquetaire ? Ah oui, alors vous lui direz que son bateau n’a jamais été enregistré à Saint Malo comme il l’a indiqué sur l’acte de vente, mais qu’il est à Saint Brieuc depuis 40 ans.
Et le monsieur ajoute gentiment : bon, on va s’arranger. Pas la peine qu’il refasse un acte, mais vous lui direz, quand même !

J’ai navigué trois ans avec une belle plaque en teck « Saint Malo », vissée à l’arrière de mon Mousquetaire !

J’ai 31 ans lorsque, après des années de galère dans des postes « zep », zones d’éducation prioritaire, je décide d’aller voir ailleurs si j’y suis, et que je demande tout et n’importe quoi dans les Dom et les Tom, le plus loin possible des ados de banlieue. L’expression « sea, sex & sun », usée, lessivée au point d’en être décolorée n’a jamais été aussi présente dans mon esprit à cette époque, colorée et porteuse d’espoirs, tellement j’étais malheureux professionnellement. Pourtant, coté bateau, c’était chouette. Tous les étés, je prenais la mer le jour des vacances pour l’Irlande, seul, et n’en revenais que le jour de la rentrée des classes.

Oui c’est vrai, il m’arrive à cette époque de rentrer en trombe dans le parking du collège le lundi matin à 08h30 au volant de ma petite Peugeot 106, encore en cirée et en bottes, parce que l’écluse du bassin Vauban à Saint Malo ouvre au levé du jour et que chaque minutes compte ensuite pour arriver à l’heure au boulot !
C’est dire que les Weekends et vacances sont fantastiques, à bord de mon Sauvignon, ce délicieux plan Harlé de 8m60 en contreplaqué marine. Une des périodes les plus riches en découvertes maritimes et propice à repousser mes limites, en ayant maintenant l’expérience suffisante pour ne pas me coller à la côte.

La mutation arrive, que j’annonce d’une voix blanche à mes parents. Mes chances étaient presque nulles, tellement les postes dans les îles tropicales sont prisées. L’ouverture du courrier dans mon casier est un des plus grands chocs de ma vie. Pour autant, je n’envisage pas de vendre mon Sauvignon, mais de le stocker sous hangar en bords de Rance. Et puis je n’ai pas le temps. Je vais naviguer tout l’été et sauterai dans l’avion après avoir mis un coup de jet sur la coque l’avant veille du départ. Le chantier se chargera du démâtage et du stockage après mon départ.

Et l’avant-veille, le bateau tout juste sorti de l’eau est posé sur le ber hydraulique, sur le bord de la route, au port de Plouer sur Rance. Je passe le coup de Karcher lorsqu’une grosse berline passe, freine, s’arrête, recule puis s’arrête à nouveau à ma hauteur. En sort un monsieur d’un âge respectable, dont l’amour et la parfaite connaissance de ce type de construction classique en contreplaqué, ne fait aucun doute après quelques secondes d’élocution.
- Me le vendriez-vous, votre magnifique Sauvignon ?
- Heu… encore moins que pour le Mousquetaire je n’ai réfléchi à la question, et j’annonce un prix au lieu de décliner l’offre. Les quelques secondes de latence avant ma réponse sont suffisantes pour réaliser que j’ai l’opportunité de vendre le bateau à très bon prix et qu’après tout, mon statut d’expatrié me permettra bientôt d’acquérir une unité plus hauturière, même si j’envisageais jusque là de partir en tour du monde avec celle-ci.
- 165.000 francs.
- C’est d’accord, je reviens demain avec le chèque et les papiers pour signer.

Voilà comment j’ai pris l’avion pour Mayotte, alors que le chèque tout juste déposé n’était pas encore encaissé !

Dix ans et beaucoup de milles plus tard, c’est une histoire trop longue à raconter en quelques lignes qui me pousse à vendre, contraint et forcé, mon Ne Quid Nimis alors même qu’il est séquestré depuis 3 ans par les autorités du port de Tamatave, à Madagascar. J’ai raconté l’histoire ici « Tongasoa Toamasina ».

Entre la mise en vente et la seule visite réellement sérieuse deux ans plus tard, le prix a presque baissé de moitié. Les acheteurs « potentiels » se disent désespérés que le bateau soit si loin de l’Europe… et ne savent pas qu’ils rêvent d’acquérir un bateau dont les autorités portuaires ont interdit la sortie !
En effet, le service de facturation du port me réclame l’équivalent de la valeur commerciale du bateau, somme que je refuse de payer, naturellement. Le bateau stationne depuis trois ans dans un dépôt d’épaves de corps morts, au bout d’un quai effondré, sans eau ni électricité. Ce n’est pas un problème pour le service de facturation. Je suis étranger, le bateau est étranger, je suis riche, je paye le tarif journalier des navires commerciaux. CQFD.

Je suis absolument désespéré et envisage comme une hypothèse de plus en plus probable la perte pure et simple de mon bateau. Je ne serais pas le premier, dans ce port… Malgré tout, deux fois par mois, je fais 16 heures de route pour aller à bord, marquer ma présence et entretenir ce qui peut l’être. Mon Ne Quid Nimis se dégrade, listons et balcons arrachés par des poids lourds aux manœuvres hasardeuses.

Ce weekend là, mon ami Jean me parle « d’un jeune gars intéressé ». Jean a griffonné son numéro de téléphone quelque part, mais ne le retrouve pas. Aucune importance. Le jeune en question tient une gargote en bord de plage à plusieurs centaines de kilomètres au Sud, dans un village de pêcheurs qui doit voir passer cinquante touristes par an. Il doit avoir un chiffre d’affaire de 500 euros et pas les 45.000 euros que je réclame.

Alors que je ferme le bateau et m’apprête à reprendre la route, Jean me tend le papier. Qu’ai-je à perdre… Je compose le numéro.
- Oui, je suis à Tamatave, j’arrive, laisse-moi 15 minutes.
- Je t’attends et la visite ne durera pas davantage. Il faut que je reprenne la route.

Je ne crois pas un instant au sérieux de cette visite, surtout lorsque le touriste arrive à pattes, en slip « poutre apparente », une paire de tongs aux pieds, la casquette à l’envers vissée sur le crâne et une paire de lunettes de soleil de contrefaçon sur le nez. Qu’il a l’air con, putain, ce jeune gars…
- Désolé, David, mais je n’ai pas de temps à perdre. As-tu 45.000 euros sur un compte pour acheter un tel bateau ?
- 45.000 ? Mais Jean m’a dit qu’il valait 90.000 ! Ben c’est bon, je te l’achète.

J’en tombe en arrière. Ce garçon sans expérience est prêt à mettre 90.000 euros dans un voilier et prend sa décision d’achat après une visite de quelques minutes. Nous filons dans un cyber café vérifier sa solvabilité. Il a bien les fonds. Il me propose un virement de la totalité de la somme sans contrepartie. Nous ferons les papiers plus tard, puisque que le livret n’est pas à bord mais chez moi, à presque 20 heures de route aller-retour.

Deux jours plus tard, j’ai les sous sur mon compte, les papiers du bateau et pas d’acte de vente signé… mais surtout, j’ignore totalement comment je vais annoncer à David que le bateau ne peut pas sortir du port !

Salop ? Non, j’ai un plan!
L’histoire rocambolesque de la sortie du port est racontée dans le deuxième volet de « Tongasoa Toamasina » !

Photos : les trois bateaux de cette histoire, dans l'ordre chronologique.

04 oct. 2022

👍👏🌊🥃🥂

04 oct. 202204 oct. 2022

Si tu m'invites à boire un coup, ce que j'imagine aux deux dernières images, et que tes breuvages sont aussi extras que la dernière fois, c'est d'accord 😁😋

04 oct. 2022

Top là 🤝

11 oct. 2022

Pour rappeler l'existence de ce fil fantastique que nous sommes trop peu à alimenter, je vous invite à écrire des histoires sur le thème :
"Bricolages improbables" ou "provisoire définitif".

La photo que je joins parle d'elle même !

Pour ma part, mieux que le WD40 et le grey tape, j'affectionne tout particulièrement la tresse goudronnée, ou "ligne à thon", et l'acier verni des canettes de bière, découpé en carrés, dont j'ai une réserve à bord. Les vieilles cartes de crédits et autres cartes en plastique du même format font également des miracles !

A vous lire !

11 oct. 2022

Si ça doit bouger et ça bouge, pas de problème, me fait penser à un barreur à notre club. Il insistait que "si ça devait marcher, il faudrait le faire marcher" en toute matière. Alors, quand on hissait le spi, il fallait qu l'on hisse, et que ça monte, malgré n'importe quoi. Même s'il y avait un petit accroc en route, il fallait continuer, même si le spi se coupait en deux sur un petit boulon qqpart. Son voilier en était ravi.

01 nov. 202201 nov. 2022

C’étaient les Weber. Ils naviguaient sur un magnifique ketch en bordé classique, en chêne doublé cuivre qui devait peser un poids considérable. Lui était retraité capitaine au long cours de la Marine Marchande. Il avait connu les Liberty ships qui marchaient à peine plus vite que les voiliers avec leurs moteurs poussifs, les livraisons dans les ports africains, l’Indochine et le Siam, les coolies chinois... Il avait gardé de sa profession un caractère plus proche de celui d’un ours que d’un agneau. Sa corpulence et son aspect étaient en relation avec ce caractère. Il était aussi velu qu’un grizzly.
Il avait développé, de ses séjours en Afrique et en Indochine coloniales, une propension à insulter les populations locales avec des mots qu’il serait tout à fait incongru et politiquement très incorrect de répéter ici.
A Djibouti où des militaires qu’on avait emmené passer le WE aux Iles Musha nous avaient prêté une superbe Jeep, nous étions biens embêtés de l’avoir à nos cotés, tant il grognait et insultait en permanence tout indigène qui avait l'outrecuidance de se trouver à moins de 5 m de lui.
C’était pourtant un homme charmant dans la vie de tous les jours et, à l’heure de l’apéritif soit à bord, soit au « club nautique » au bout de la longue estacade au milieu du port de Djibouti, c’était toujours avec plaisir qu’on l’écoutait raconter ses histoires de mer.
Le restaurant du club nautique nous accueillait souvent. A cette époque où l’électricité à bord de nos voiliers était rare, boire frais et manger des produits locaux faisaient partie des plaisirs de l’escale.
Le couscous du club était réputé. Son piment aussi. Pour nos estomacs plus habitués aux poissons et aux conserves, c’était parfois dur.
Au bout de quelques jours, Weber eut un problème. Ses Hémorroïdes. Il nous expliqua que depuis des années, ce problème était récurrent et le faisait souffrir de manière répétée et presque permanente.
Nous avions à bord ce qu’il fallait. De l’anesthésique, de bons outils et mon papa médecin qui savait s’en servir.
Weber ne souhaitait pas montrer son postérieur à une femme, et du haut de mes 16 ans, je pris donc le rôle d’infirmier assistant de mon papa, qui, sur la table du carré opéra avec dextérité le postérieur de cet ours velu.
Il fallut d’abord raser la pelisse drue, puis écarter, anesthésier, découper, essuyer, badigeonner …
Je n’étais pas très fier ni très alerte dans la chaleur du carré pendant les longues minutes qui me semblèrent des heures..
Quelques jours après, tout était cicatrisé. Il n’eut plus jamais de problèmes.
C’était il y a 45 ans. Je ne sais pas si Weber vit toujours (il me paraissait très âgé), je ne sais pas si « Altaïr », ce beau bateau existe encore. Mais si par hasard quelqu’un a entendu parler d’eux qui ont tourné autour du monde à la fin des années 70, je serais heureux de l’apprendre.

01 nov. 2022

Une petite histoire toute simple, pas vraiment une histoire de mer avec des embruns, du vent qui siffle dans les haubans, le ciré avec sa petite senteur indécrottable de gasoil, non; plutôt les années qui s'accumulent et la tête qui ne veut pas le voir.
Adoncques, nous sommes en 2006 (aprox), mon cher fiston entre deux minis navigue en Atlantique et décide participer á la mini Fastnet. Nous sommes méditerranéens, (Majorque), moi encore plus que lui et je ne connais rien de l'Atlantique, la vraie, pas celle des Canaries que j'ai pu voir un jour.
Donc j'abuse de ma condition de père et j'exige de régater avec lui (la mini Fastnet c'est en double) au grand dam de son coéquipier habituel. ("P....j'ai assez bossé sur ta cagette tu pourrais au moins reconnaître que...). Il cède et tout fier je me retrouve á Douarnenez (ne pas oublier que je viens de Palma de Majorque, c'est pas vraiment pareil) au milieu de tous ces fiers ministes (il y avait même Alex Thomson, pour vous dire...).
Bon on passe tous les contrôles, super ,tout bien, quand le fiston me dit "on doit passer la visite médicale". Bizarre...j'ai jamais vu ce genre de truc dans ma vie de régatier méditerranéen mais je me dis, "la mini Fastnet c'est sérieux, mer d'Irlande, chenal du Four et tout et tout, et puis les français ils dominent ce genre de manifestations, bref on y va, á la visite médicale. Politesses devant la porte du toubib, "toi, non toi le premier, etc... finalement je rentre le premier. Un monsieur très gentil me fait appuyer dos au mur et faire 60 flexions en une minute, puis je me prends le pouls. J'ai presque 60 ans, j'avais oublié de le dire, mais je passe l'épreuve sans problème et je suis déclaré bon pour la régate...
Je sors et dis au fiston: "á ton tour!"
"Non, la visite médicale c'était que pour toi"
Épilogue: on était 100 batos au départ de la régate, soit 200 personnes, un seul a passé une visite médicale! Ne me demandez pas qui c'était ça voudrait dire que vous n'avez pas lu ce que j'ai écrit plus haut.
Même si j'ai tenu dignement mon rôle d'équipier, père de famille, souffre douleur, électricien etc... pendant cette régate (presque une semaine, entre pétole aller et baston retour), ensuite plus rien n'a été comme avant, j'étais devenu vieux sans le savoir.

01 nov. 2022

j'adore....

02 nov. 2022

plus un !

24 nov. 202224 nov. 2022

Histoire remise dans le fil 13, à la demande de ED850

Je trie les photos d’archives, un an après la mort des mes parents, navigateurs passionnés. Quelques photos me rappellent un souvenir qui a marqué à vie ma mémoire, et celle de ma mère.

C’est en août 1973. Mes parents, mon frère de 7 ans et moi, tout juste 4 ans, naviguons dans le Solent sur le Muscadet familial. J’ai déjà écrit un texte fort à ce propos, intitulé « les enfants sauvages », relatant cette période de nos vies à bord de la minuscule boite en contreplaqué, zigzagant la plupart du temps à poil, au milieu des yachts britanniques et des britishs distingués, entre l’île de Wight et Portsmouth.

Fin août, les coups de vent s’enchaînent sur la côte Sud de l’Angleterre et mon père repousse jour après jour la nécessaire traversée vers Saint Malo, pour reprendre le boulot des parents et l’école des enfants début septembre. Rien n’y fait. Le vent passe de Sud-ouest à Nord-ouest, sans jamais descendre en dessous de force 5. La mer en Manche est forte et désordonnée. C’est trop pour la coque de noix de six mètres et l’équipage de deux bambins à peine sortis des couches.

Finalement acculés, c’est par un bon 7 de Nord-ouest, que nous appareillons et contournons les Needles. Mes parents, en cirés jaunes et oranges sont cramponnés et harnachés dans le cockpit, douchés par les vagues qui déferlent sur le petit cul du Muscadet. Ils ont peur. Mon frère et moi sommes enfermés à l’intérieur du bateau, le panneau de descente en contreplaqué nous interdisant toute vue sur l’arrière et les parents.

Allez savoir pourquoi, j’ai un souvenir d’une étrange clarté des heures que nous avons passées enfermés. Absolument pas incommodés par le mal de mer et des mouvements que j’imagine, avec le recul, quasi insupportables, mon frère et moi jouons dans la couchette avant. Mon frère, jamais avare de bêtises à faire, vide un équipet de toutes les serviettes de bain qui s’y trouvent, chope le rouleau de tresse goudronnée à thon avec laquelle mon père fait d’habiles brêlages sur tout et n’importe quoi et la boite de pinces à linge. Le but : fabriquer un labyrinthe ou peut être château, que sais-je, dans le triangle avant en déroulant au plafond la ligne à thon en zigzags, et en y accrochant toutes les serviettes disponibles. S’en suit une séance de jeu inoubliable. C’est le tout premier souvenir de ma vie sur l’eau, qui subsiste 50 ans plus tard.

Puis nous avons faim. Là, mon grand frère toujours à l’initiative de tout, traverse l’espace de vie du Muscadet, ouvre le capot coulissant du bateau et hurle : « on a faim » ! Il me racontera 40 ans plus tard, son souvenir du visage marqué par la peur de sa mère. Maman était au bord de la panique et la perspective de devoir aller s’enfermer à l’intérieur du minuscule espace secoué en tous sens pour faire à manger aux deux diables à dû la terrifier. Sans doute redoutait-elle ce moment depuis des heures.
Elle est venue et nous a fait des sandwichs avec le pain anglais acheté à Portsmouth et du cheddar tout aussi anglais, que nous avons englouti avant de retourner jouer dans le triangle avant. Maman est ressortie et à refermé la porte.

Mes souvenirs s’arrêtent là, mais pas ceux de ma mère, alors âgée d’une trentaine d’années, et pour qui cette traversée fut, nous a-t-elle dit quelques années avant sa mort, le pire de ses souvenirs maritimes. Car il a fallu que mon père rentre à son tour pour tenter de faire le point à la gognio. J’imagine aisément le visage livide de mon père, à l’idée d’aller tracer les trois droites de relèvement sur la carte papier, après avoir introduit dans le Super Navitech, l’un après l’autre, les trois quartz qui permettaient de faire un relèvement sur les puissants radiophares entourant la Manche.

En milieux de Manche, le cockpit régulièrement submergé par les vagues, seule dans le cockpit à la barre, maman a cru que s’en était fini.

Le Muscadet fût vendu dès le retour à Saint Malo, remplacé par son grand frère, un Cognac !

Quelques photos de cette année là. Je pense qu’aucune n’a été prise pendant la traversée, bien trop difficile. Mon père n’aurait pas sorti son réflexe argentique dans ces conditions.

15 déc. 2022

La super Navitech et ses quartz... Elle a corrigé les erreurs d'estime de beaucoup de marins, à l'époque, dont moi...

15 déc. 202215 déc. 2022

belle histoire

24 nov. 2022

Merci d'avoir remis en avant cette histoire touchante, pour tous ceux qui ont navigué dans ces années "insouciantes", avec très peu d'électronique (et bien souvent aucune !), mais qui arrivaient à bon port avec la satisfaction d'avoir "vaincu l'Everest" !

24 nov. 2022

Merci de ce récit. Non pas s bord d'un muscadet mais d'un dauphin de 6,5 m également. Mes parents m'y ont embarqué avant que je sache marcher. À 4 ans, plus ca gitait et plus ça secouait, plus je m'amusais. Mes parents eux tremblaient peut-être intérieurement mais ne le montraient pas.
Que de bons souvenirs

25 nov. 2022

Comme je venais juste d’acheter mon premier bateau, un petit shellfish, je décidais cette année là de faire un tour vers le nord. Ecosse, Hébrides, Irlande. Ces destinations n’étaient, en 1980, pas très courues et il était rare de croiser un autre voilier dans ces eaux.
Une copine avait embarqué à Plokton et ensemble, nous étions montés jusqu’à Stornoway avant de descendre tranquillement tout l’archipel des Hébrides extérieures jusqu’à Barra d’ou nous comptions traverser vers le nord de l’Irlande.
Le temps était mauvais depuis plusieurs jours, mais bien mouillé sous le château, nous visitions l’île, passions nos soirées au pub et profitions de l’hospitalité des Mc Leod et de leurs feux de tourbe.
Un après midi, le temps s’est amélioré, le vent encore assez puissant tournait NW et le baro montait.
Comme je n’avais à bord ni moteur ni électricité, je ne prenais jamais la météo. Ayant vécu une bonne partie de mon enfance sous les tropiques, prendre la météo n’était pas dans mon habitude.
Nous sommes donc partis vers 16h sous GV 2 ris et foc 2 dans 20/25 kn de NW, grand largue pour faire la centaine de miles qui nous séparaient de la côte Nord d’Irlande. Le bateau marchait bien, la petite navik barrait parfaitement.
Dès la sortie de la protection des îles, la houle formée par les gros coups de vent passés nous rattrapa. Mais il faisait nuit et je ne la sentais que par le fait que nous alternions des moments sans vent avec des surventes violentes en arrivant en haut. Prenant cette houle de 3/4 arrière, nous descendions pendant près de 30 secondes avant de remonter aussi longtemps.
Mais peu à peu, alors que j’espérais une diminution du vent, celui-ci refusait de plus en plus en forcissant pour se caler à l’W/SW. Le baro avait fini sa progression ascendante et commençât à chuter.
Une nouvelle dépression nous arrivait dessus.
Au milieu de la nuit, nous ne portions plus que 3 ris et tourmentin, néanmoins, la houle restait de NW, en grossissant encore ce qui me faisait espérer une rotation rapide du vent.
Au petit matin, j’avais repris la barre. Je voulais remonter un peu plus pour éviter de me faire déporter sur Mizzen Head tout en évitant les déferlantes qui pouvaient nous prendre par le travers.

Quand le jour se leva, la mer était impressionnante. La houle, surtout. Nous descendions longtemps pour nous retrouver comme cerné de hautes montagnes d’une vallée des Alpes. La mer du vent, plus abrupte, mais plus courte faisait comme des troupeaux de moutons dans ces alpages.
Alors, nous remontions avant de prendre un bon coup de gîte au sommet suivant.
C’est à ce moment que mon amie ouvrit le panneau de descente.
A la vue de la mer, elle poussât un grand cri.
Retournât se coucher.
Quelques heures après, nous rentrions dans le loch Swilly, grande entrée facile. Je mouillais dans la première baie protégée.
L’après midi, je louais une chambre dans le bel hôtel qui se trouvait sur le bord de mer. Mais rien n’y fit.
Cette copine ne voulut plus jamais remonter sur mon bateau.

25 nov. 202225 nov. 2022

Parce que ça n'était pas la bonne, tout simplement !

Un vieux couple de navigateurs, qui seraient aujourd'hui plus que centenaires, m'a aidé un peu lorsque j'étais jeune, m'offrant un sextant de qualité, une batterie et un loch-sondeur pour mon Mousquetaire.

Viviane m'avait très sérieusement expliqué, à sa manière (c'était une écrivaine), comment un jeune marin devait choisir sa compagne.

"Vincent, tu embarques la prétendante pendant un mois au moins, et tu vas naviguer vers le Nord, non stop. Si elle est toujours à bord au retour et qu'elle est prête à y retourner, tu la maries. C'est la bonne".

Elle avait une vision bien à elle, et cependant en phase avec son époque, du don indéfectible de soi à l'autre, qui devait découler, à vie, de la décision prise après un test d'aptitude bien réalisé.
Je crois que ça n'a plus cours !

C'est précisément ce que j'ai fait. Quel numéro fut le bon, je ne m'en souviens plus. Mais après deux mois en Irlande, nous-nous sommes mariés le temps de publier les bans (trois semaines, de mémoire). 20 ans plus tard, elle est toujours à bord !

25 nov. 202225 nov. 2022

J'avais mis dans l'opus 7 www.hisse-et-oh.com[...]e-mer-7 ,
(26 octobre 2020) la première nav avec "la bonne".

25 nov. 2022

Oui, je me souviens très bien de ce texte !

25 nov. 2022

Je viens de retrouver trois photos (je vous épargne les autres), très représentatives de mon dernier texte.

Le mauvais temps à l'extérieur, la "joie en pyjama" à l'intérieur.
Soit en piquant à manger dans le Tupperware, soit dans le triangle avant.

25 nov. 2022

Merci encore bcp pour ces fils qui sont tout simplement extraordinaires, en ce qui concerne les photos à bord du muscadet mon impression et mes souvenirs vont dans le sens que les enfants adorent les petits cabiniers qui sont plus à leur taille, dont la couchette avant fait "cabane". Je pense qu'ils les préfèrent aux grands bateaux. En plus je pense qu'ils souffrent moins des mouvements plus brutaux de ces bateaux légers que nous. Je me souviens que même à 25 ans je ne souffrais pas du tout de longues croisières dans des petits bateaux, c'est quand on commence à devenir raide et un poil maladroit que ce jugement à tendance à changer probablement, cela à moins d'être né "jeune vieux".

25 nov. 2022

La première fois que nous avons habité dans une maison, en rentrant de naviguer, c'était à Vannes. Nos 2 filles les plus jeunes, jumelles de 5 ans sont allées dans leur chambre. Il y avait 2 placards dans la pièce. Quand on est repassé 1/2h plus tard. Elles étaient chacune dans un placard en disant "c'est ma chambre".

06 déc. 2022

J'adore

25 nov. 2022

Je suis bien d'accord avec l'analyse de Pierre3.

Enfant, j'ai toujours adoré l'espace réduit du Muscadet et du Cognac, parfaitement à ma taille. L'aspect "cabane", renforcé par les barreaux et les bois vernis.

Me enfants ont passé des centaines d'heures enfermés dans la cabine avant et en mer, mon fils avait l'habitude d'aller dormir tout au fond de la couchette cercueil de navigateur, la tête vers le fond !

25 nov. 202225 nov. 2022

Voilà que les souvenirs d’enfance ressurgissent, biens rangés depuis plus de 40 ans au fond de ma mémoire.

Ma cabane dans la Yealm.

1979 : le funeste été. Celui de la dramatique course du Fastnet. Le 11 aout 1979, nous sommes au départ de la course dans le Solent, avec notre Cognac GTE rouge, presque neuf et équipé d’un jeu de voiles pléthorique. A l’époque, mes parents se piquent de régate à Saint Malo, portés par la saine émulation qui règne dans le secteur (voir photos du passage d’écluse du bassin Vauban). Alors tous les étés, nous filons vers le Solent, pour tirer des bords entre les magnifiques unités IOR de tous tonnages. Mes parents sont invités dans l’un des yachts clubs de la côte par des amis britanniques fortunés (voir le texte « les enfants sauvages »). Nous ne participons pas aux régates, et encore moins au Fastnet, mais mes parents ressentent un peu l’ivresse des départs, et surtout celle des retours au pub !

Le départ est donné et nous suivons la flotte de loin, avec l’intension de rejoindre la Cornouaille pour trois semaines de vacances dans les rias de la côte. La course s’arrête pour nous dans la Yealm, car le temps se gâte. C’est peu dire…

De mémoire, nous y passerons pas loin de deux semaines, sous des bourrasques de vent et la pluie mémorables, au mouillage le long de la berge Ouest, juste en face de Newton Ferrers. J’ai alors 10 ans, mon frère 15, et nous ne sommes pas les seuls enfants de bateaux bien cachés dans le méandre de la calme et boisée ria Yealm.

Les journées au mouillage de mon enfance ont toujours eu le même goût délicieux, qui pleuve ou qu’il vente : une culotte sur les fesses, une toile cirée jaune sur le dos, une paire de bottes aux pieds, un sandwich dans la musette, et « vas voir ailleurs si nous y sommes ». Mes parents aimaient rester au calme à bord, débarrassés des mômes pour la journée. Nous n’étions jamais loin. Le périmètre autorisé autour du bateau n’excédait pas de beaucoup les 500 mètres. C’était suffisant pour entendre le puissant coup de sifflet ou de corne de brume envoyé par mon père pour signaler le moment du retour sur la berge.

Mes parents ne sachant pas où nous débarquer par ce temps de chien, avaient préféré nous laisser sur la grève, sous l’épaisse forêt qui recouvre la berge Ouest de la ria, que du côté ville entre les murs des maisons et les bagnoles. L’idée était lumineuse, car s’il pleuvait beaucoup, l’épais feuillage de la forêt anglaise et un tapis dense et continu de hautes fougères, constituèrent à la fois une protection quasi totale contre le vent et la pluie, mais surtout une source de matériaux inépuisable et faciles à travailler pour faire une cabane !

Ainsi, de jour en jour les quelques marmots que nous étions, rejetons des bateaux embossés à couple les uns des autres sur les coffres visiteurs, construisîmes une véritable hutte de fougères sous laquelle nous tenions debout et étions parfaitement au sec. Seul mon frère, le plus grand de la bande, avait le droit de faire des allers-retours entre la berge et les bateaux, pour alimenter la troupe. Qu’il était fier mon grand frère, dans l’Avon munie de son moteur Seagull à lanceur « manuel ». Cette fameuse ficelle qu’il fallait entourer autour du volant magnétique, avant de tirer vers soi d’un geste viril, en évitant d’éborgner avec le nœud du bout de la ficelle qui continuait sa course, le maladroit qui serait resté sur sa trajectoire.

Mais mon frère ne savait pas une chose. Une Avon à fond souple n’est pas un navire lourd et bien campé dans ses lignes, surtout par force 7 à 9 ! Une fois le moteur lancé, le capitaine en herbe s’asseyait sur le boudin arrière, à côté du moteur. Ce qui devait arriver arriva. Une bourrasque de vent s’engouffra sous le fond souple, et l’Avon se retourna comme une crêpe, l’avant passant par-dessus l’arrière. L’adolescent se retrouva à la flotte, heureusement muni de son filet en mousse, et se mis à gueuler. Un père de famille anglais sauta dans sa plate en bois et vient à la rescousse de l’imprudent, ramené à force d’avirons à bord du Cognac.

Nous autres, restâmes jouer dans notre cabane. Mon père entreprit immédiatement de purger le Seagull de son eau salée et de le redémarrer dans le cockpit, pendant que ma mère rinçait et réchauffait son fils. Moins d’une heure plus tard, le petit Seagull redémarra au deuxième coup de lanceur, comme il se doit, sous les hourras ! collectifs des voisins de mouillage. Les moteurs Seagull n’étaient-ils pas "the best engines in the world » ?

S’ensuivit un apéro très arrosé dans le cockpit du Cognac le soir même, à la faveur des premières éclaircies revenues.

Photos :
la première est prise dans la Yealm, mais pas cet été 1979.
les autres : le bordel des retours de régates dans l'écluse de Saint Malo. Le Cognac rouge figure sur toutes les photos !
La dernière : le Cognac GTE en carénage à Saint Malo. C'est moi, en ciré jaune.

25 nov. 202225 nov. 2022

Les photos dans l'écluses ne seraient-elles prises lors de l'EDHEC 77, 78 ou 79?
Un sacré bazar, tous coincés dans l'écluse durant des heures avec le soleil dans l'axe, Entre la chaleur solaire au fond du trou et les cales remplies d'alcool de Guernesey, la sortie de l'écluse fut plutôt folklorique :-).

25 nov. 202225 nov. 2022

C'est fort possible !
Mais mes photos d'archives ne sont pas datées. Cependant, le Cognac a été acheté en 1974 (à un an près) et vendu en 1979 (certain).
Je pense que certains se reconnaitront sur les photos.
C'est la raison pour laquelle je les ai toutes mises !

25 nov. 2022

C’est un peu « où Est Charlie » tes photos 👍

02 jan. 2023

Le "british Seagull" mon premier moteur d'annexe "Avon".... celle ci fut sur ma vedette puis 13 ans sur mon centurion32 et enfin la première année de mon achat d'un Hood d'occasion
Nous étions allés diner sur le port de Calvi et au moment de rentrer un aéropages de marins observaient notre "trapanelle".... j'enroulais le ficelle et espérais qu'au tirage j'aurais de la chance
j'en eu et alors se furent un concert de récriminations contre leurs bi-cylindres et autres

03 jan. 2023

Le seagull ça gueule ; comme les goélands (seagull en grand breton).

27 nov. 202227 nov. 2022

Jean-Jean.

Jean-François Breton, dit Jean-Jean, est une personnalité singulière qui a profondément marqué mon enfance.

Pied-noir d’Algérie française, il est arrivé comme tant d’autres en métropole en 1962, alors âgé d’une vingtaine d’années. Ses parents choisirent de s’établir à Saint Brieuc dans les côtes du Nord de l’époque, car ils étaient d’ascendance bretonne, comme le patronyme l’indique. Complètement déraciné en Bretagne Nord, il ne connaissait de la mer que les plages d’Alger. Il était cultivé, polyglotte et maitrisait à la perfection l’Espagnol, ce qui lui permit d’obtenir le concours de l'enseignement et d’être nommé dans un lycée du centre Bretagne.

C’est là qu’il fit la connaissance d’une jeune prof de lettres originaire de Bayonne, qu’il décida d’appeler Agathe « parce que cela correspondait à sa bonté et sa gentillesse », et de mes parents, jeunes mariés passionnés de voile.
Ces quatre là furent bientôt comme cul et chemise, soudés, inarrachables les uns des autres.

J’ai donc vécu un nombre de soirées et de week-end incalculables à bord des voiliers familiaux successifs de mes parents. Jean-Jean était une personnalité très enjouée, douée d’un humour tantôt ravageur tantôt subtile qui faisait crever de rire mes parents et Agathe. Mais Jean-Jean n’aimait pas le bateau. Pas qu’il fut malade en mer. Il s’emmerdait, tout simplement. Ce n’était pas son monde. Son monde à lui était fait de culture hispanique, de littérature ancienne et de photographies macroscopiques de pétales de fleurs. Agathe elle, adorait le bateau. Donc, ils venaient avec nous en bateau tous les week-ends, ou presque ! Mes parents veillaient à ce que les navs soient courtes et les mouillages agréables.

Alors, à bord, Jean-Jean pêchait. Toutes les photos de lui ou presque, le saisissent la ligne à maquereaux à la main. Ca l’occupait. S’il ne pêchait pas parce que ça n’était pas possible, il faisait la lecture à haute voix pour tout l’équipage. C’est ainsi que j’ai découvert à bord du Cognac, vers l’âge de cinq ans, les aventures de Don Quichotte et de son fidèle serviteur Sancho Panza. C’était un peu notre Fabrice Lucchini, bien avant ce dernier, par ailleurs ! Il faisait une lecture de la grande littérature à son image. Unique, décalée, pleine de digressions, de finesse, d’explications de textes et d’humour.

Les années passèrent et Jean-Jean et Agathe s’envolèrent pour l’Amérique du Sud étudier les civilisations anciennes, Incas, Mayas et aztèques. Pour mes parents, c’était le début de la grande aventure de la construction amateur des années 1970. Les quatre se retrouvaient néanmoins plusieurs fois par an à Paris, pour s’immerger dans la culture des grands musées et des sorties théâtrales. J’ai bien sûr suivi la troupe à peu près partout et en garde de nombreux souvenirs.

Lorsque le voilier de voyage fut construit (un modeste Chablis, plan Harlé de 8,70 mètre) mes parents proposèrent à Jean-Jean et Agathe de les accompagner dans le voyage inaugural à l’été 1980. En fait, ça n’était pas une proposition. Mes parents n’imaginaient pas devoir faire ce premier grand voyage vers l’Irlande sans leurs amis. Ce coup-ci, Jean-Jean fit davantage la grimace que d’habitude. Il ne s’agissait plus simplement de quelques heures de mer entre deux mouillages, la ligne à Maquereaux à la main, mais de plusieurs jours de mer, avec des quarts de nuit, vers des contrées froides qui ne l’attiraient pas. Jean François, né en terre africaine sur les bords de la mer Méditerranée, n’aimait ni la pluie ni le froid.

Mes parents et Agathe le savaient, mais il fallait qu’il vienne. Alors Jean-Jean a posé son sac à bord en faisant la moue. La dernière soirée à Saint Malo fut joyeuse, le bateau bien protégs derrière les murs de la citée corsaire. Jean-Jean était fidèle à lui-même et nous racontait à sa manière les sacrifices et rites Incas. Mais la traversée vers le port de Penzance, à l’extrémité Ouest de la Cornouaille britannique, fut particulièrement pénible. Les 180 milles à couvrir prirent 48 heures, par un temps de chien. J’ai passé ces deux jours dans mon duvet, au fond de la couchette de mer du carré du Chablis. J’avais 11 ans.

Il fallu attendre deux jours supplémentaires à Penzance, sous la pluie, pour qu’une fenêtre météo permettant de monter sur l’Irlande se présente. Jean-Jean avait complètement perdu son humour. Il trainait les pieds dans les rues grises de cette ancienne cité minière… et préparait son évasion.

Quand l’heure de partir arriva, Il avait disparut. Même Agathe ne savait pas où il était. Tout juste avait-il dit qu’il irait acheter une bricole dans l’échoppe du coin et qu’il reviendrait dans les cinq minutes. Alors Agathe et mes parents se mirent à sa recherche dans tout Penzance, porte par porte, et ils finirent par le trouver caché dans une banquette au fond d’un pub !

Il fallut toute la diplomatie des trois volontaires pour qu’il accepte, sous conditions, de remonter à bord !
Jean-Jean fut donc placé hors quart, ainsi qu’Agathe, et la traversée du canal Saint Georges de passa bien.
Nous passâmes quatre semaines dans le conté de Kerry, et Jean-Jean était toujours à bord au retour.
Mais il ne remit plus jamais les pieds sur un voilier !

Jean-Jean est décédé peu avant mes parents. Agathe vit dans le Sud Ouest de la France.

27 nov. 2022

Histoire tout à fait délectable :-)

27 nov. 2022

Brilliant

03 déc. 202203 déc. 2022

Voila un très long texte, parmi d'autres que j'ai écrit pour raconter mes aventures nautiques à Madagascar.

Trimaki : raid côte Nord-Ouest de Madagascar Octobre 2015

Voilà quelques années que Stéphane et moi-même partons mi octobre, pour quinze jours de raid nautique sur deux petits trimarans transportables. Nous poursuivons avec enthousiasme notre exploration systématique des plus belles côtes malgaches. Après plusieurs navigations sur la côte Est de la grande île, aussi belle qu’austère, nous traversons le pays de part en part, pour rejoindre la côte Nord-Ouest.

Bordant le canal du Mozambique et protégée de l’alizé de Sud-est (le Varatraza) par les hautes terres malgaches, les conditions y sont bien plus clémentes qu’à l’Est de Madagascar. La côte très découpée, jalonnée de profondes baies, d’archipels et de fleuves, offre plein abris. Un régime de brises thermiques et une mer belle s’établissent à cette période de l’année.

Les conditions, idéales pour nos multicoques d’à peine 6 mètres, nous encouragent à parcourir la plus grande distance possible en sens unique. Nous rallierons Mahajanga, la capitale économique de la cote Ouest, à Nosy Be, l’île touristique au large de la grande terre. Soit environ 300 milles, que nous ferons dans le sens Sud-Nord en dix jours de navigation.

Un an de préparation dans les montagnes

Nous naviguerons à quatre. Stéphane et Ialy sur Seabiby, un Astus 20.2 ; Tony et moi sur Trimaki, prototype de 6 mètres en verre époxy.

Pendant l’année écoulée, les deux trimarans ont fait l’objet de nombreux travaux. L’Astus 20.2 a été largement renforcé, du fond des coques aux bordés. Les conditions de mer difficiles de la côte Est et le contact abrasif du corail en bord de plage avaient fait souffrir le bateau.

Par contre, c’est un tout nouveau Trimaki qui touchera l’eau à Mahajanga ! J’ai transformé mon trimaran de balade, en engin de raid capable de faire le tour de Madagascar. Les nouveaux flotteurs à 170 % sont deux fois plus volumineux que les précédents. J’ai ainsi pu augmenter la surface de voile de 40 %, tout en gardant le vieux profil de mat de Dart qui résiste bien.

La coque centrale est maintenant dotée d’une profonde dérive pivotante, à la place des ailerons fixes de flotteurs, mais j’ai conservé la longue quille martyre qui permet de jouer à saute mouton sur le corail !

Ça commence mal !

Comme toutes nos navigations, celle-ci débute sur les routes malgaches depuis Antananarivo, la capitale située sur les hautes terres. L’unique voie étroite et montagneuse, truffée de pièges et de trous, est digne du 19ème siècle. Quatre jours à raison de 10 heures de conduite par jour sont nécessaires pour effectuer quelque 2500 km avec les bateaux en remorque. Le transfert des voitures de Mahajanga à l’embarcadère de Nosy Be est confié à un chauffeur pendant la navigation.

Nous appareillons tout juste de Mahajanga, au bon plein sur mer plate. Un léger flou dans la barre, puis elle me glisse des doigts. Je rattrape l’ensemble du safran par le stick avant qu’il ne coule. Je m’interroge, sidéré : comment l’aiguillot de safran, un rond en inox A4 de 10 mm de diamètre peut-il casser de la sorte par beau temps ? La réparation du safran n’est pas possible simplement. Il faut l’outillage adapté pour extraire de son sertissage d’aluminium, le restant d’axe visiblement oxydé en profondeur.

Plutôt que de retourner à notre point de départ, nous bifurquons sous gennaker aidé du moteur vers une entrée de rivière toute proche, où se trouve le dernier hôtel de la cote. Coup de chance, le site dispose d’un atelier pourvu d’une perceuse à colonne. Il faudra plusieurs heures d’efforts pour percer l’axe inox, puis le chasser à grands coups de masse, sans détruire le massif en alu. La tête de safran, bien qu’endommagée, peut recevoir une tige filetée en acier qui fera l’affaire. L’ensemble présente un jeu conséquent et désagréable, mais il est fonctionnel.

Le bilan du premier jour de nav est mince. 12 milles parcourus vers le nord ! Nous appareillons donc avant le lever du soleil avec l’intension d’aller aussi loin que possible. La chance nous sourit. C’est sous gennaker à 10 nœuds, poussés par un thermique vigoureux, que nous traversons le Mahajamba en milieu d’après midi.

La mer désordonnée de ce grand estuaire qui charrie les eaux de trois fleuves, rend la vie humide à bord. J’ai un peu d’appréhension pour mon petit Trimaran, nettement plus puissant qu’auparavant. Sa structure bois époxy très rigide rend les chocs impressionnants à cette vitesse, d’autant que nous sommes trop chargés en début de raid.
Comme les années précédentes, nous partons en autonomie complète pour 10 jours. Eau, nourriture, essence et équipements pèsent lourds. Le bateau est enfoncé dans ces lignes, mais rien ne bouge. Les neufs plis de bois moulé des bras de liaison ne montrent aucune flexion.

Après 60 milles parcourus au GPS depuis ce matin, nous abordons les eaux calmes et claires de la région d’Anjajavy. Cette cote d’accès difficile par la terre et très peu fréquentée, est l’une des plus belle de la grande île. Elle est constituée d’une multitude de petites criques de sable blond, enserrées dans des falaises blanches. Nous y sommes, mais encore faut-il que nous trouvions notre abri avant la nuit : une improbable entrée de rivière, repérée en zoomant à fond sur Google earth. Ne cherchez pas ce kinga (ruisseau en malgache…) sur une cartographie. Comme de nombreux petits cours d’eau, il est sans doute saisonnier et un coup de vent peut le fermer en quelques heures.
La cote recèle de nombreux abris accessibles aux quillards, mais notre philosophie n’a pas changé : aller là où les autres ne vont pas !

Nous cherchons le kinga en longeant les falaises rocheuses rougies par le soleil déclinant. Une plage de quelques mètres d’élévation se dresse devant nous, mais pas d’embouchure. Je baisse les yeux sur le classeur de captures d’écran Google earth qui nous sert de carte … relève la tête, il est là !

Une passe de quelques mètres de large seulement, où le clapot casse sur un fond visiblement rocheux. Nous affalons et nous y engouffrons à pleine vitesse au moteur, de sorte de pouvoir surfer les vagues.

Le bateau s’immobilise au milieu de la passe, stoppé net sur un caillou. Nous sautons à l’eau pour alléger le trimaran, et le guidons entre les roches. Une vasque sablonneuse d’un calme absolu s’étend devant nous.
Magnifique, incroyable de beauté sous le soleil à contre jour étendant les ombres portées des roches tabulaires.
Nous rions. Il ne faut pas réfléchir trop longtemps avant de s’engager dans ce genre de coin, sinon on reste dehors !

Nous envisageons de camper sur la plage et de faire griller le Barracuda pêché cet après midi, lorsqu’un français descend de la falaise à notre rencontre. « Ah non, les voileux ! Vous dormez à la maison et mangez à ma table le barracudas, cuisiné en sauce».

Une soirée mémorable ! Jacky, un zanatany (français né à Madagascar) aventurier, a posé son sac dans ce coin de paradis après plusieurs tours du monde en voilier.

La baie de Moramba, baie de Ha Long malgache

A moins de marcher des jours à travers la brousse où de faire comme nous, le prix du ticket d’entrée dans ce sanctuaire préservé est cher. Deux resorts de luxe sont discrètement intégrés au sud de la baie. Réservations et transfert en avion privé sont la règle, pour une clientèle d’étrangers fortunés en quête de tranquillité. En passant devant ces hôtels, nous pensons au monde qui sépare les deux modes de tourisme !

La baie de Moramba est parfois surnommée la « baie de Ha Long de Madagascar ». A l’image de la célèbre baie asiatique, elle est parsemée d’îlots rocheux, sorte de champignons de roche calcaire grise dont la base a été érodée au fil du temps, et qui semblent tenir en équilibre fragile. Inaccessibles et couverts de végétation, ils sont un sanctuaire pour de nombreuses espèces végétales et animales endémiques.

Les trous de certains ilots sont remplis d’ossements humains, car ils ont servi de cimetières ! Nous installons notre campement sur la seule plage accessible, enserrée au cœur d’un gros ilot.

Alors que chacun vaque à ses occupations : préparation du feu à l’aide de l’abondant bois flotté, rangement des bateaux, je vois que Ialy peine à gonfler sa tente, équipée d’arceaux de type aile de kite surf. Obnubilé par la maitrise du poids embarqué, Stéphane a remplacé l’efficace pompe de kite par un truc bon marché, tout juste bon à gonfler des matelas de plage. Du coup, la toile pendouille mollement et la prometteuse tente trois places n’est qu’un abri à la hauteur dérisoire !

Nous discutons de l’opportunité d’ouvrir la dernière bouteille de vin (sur les deux embarquées !), lorsqu’un couple aborde la plage en semi rigide. Ces navigateurs américains qui nous ont vus arriver, se montrent très impressionnés par notre mode de navigation minimaliste. Nous les invitons à partager notre bouteille, ce qu’ils déclinent poliment. Ils nous promettent néanmoins de revenir pour nous voir appareiller le lendemain matin.
Ils reviennent bien… mais pas les mains vides. Avec une bouteille de cotes du Rhône millésimé !
You’ve made my day dear Americans! 

De la baie de Narinda à l’île bagne de Nosy Lava

Le thermique léger et encore frais du début de matinée nous permet de tirer des bords serrés entre les ilots. Nous sommes survolés par une multitude d’oiseaux, dont des aigrettes dimorphes, toujours aussi gracieuses.
A notre grande surprise, il y a 4 voiliers au mouillage derrière une presqu’île. C’est la première fois que je vois autant de bateaux au même endroit si loin de Nosy Be !

En réalité, la baie offre une escale sublime aux circumnavigateurs qui se rendent en Afrique du Sud pour passer le cap de bonne espérance à l’été Austral. En raison des difficultés actuelles dans le golf d’Aden, ils sont de plus en plus nombreux à faire le grand tour.

Nous ignorons où nous poserons nos sacs ce soir. Le nombre d’escales accessibles à nos 30 cm de tirant d’eau donne le vertige. Nous avons recensé plus de soixante points d’intérêts sur les quelques dizaines de milles à venir. C’est finalement un empannage brutal à bord de Seabiby qui en décidera ! Ialy est sonnée par un coup de bôme et réclame à juste titre une escale à l’hôtel.

J’avais pris la peine de contacter les quelques hôtels disséminés au nord de la baie de Narinda. Sans aucune réponse… ce que nous comprenons en visitant chacun d’eux, de plage en plage.

Jamais achevés, abandonnés récemment ou en ruine, aucun n’est ouvert ! Ce constat se répètera tout au long de la cote, et donne une autre image de ce pays à l’immense potentiel, mais où le tourisme s’effondre de crise en crise. 
Nous embouquons finalement une entrée de rivière guère plus large que le kinga d’avant-hier et établissons le camp à l’extrémité d’un long sillon de sable parsemé de filaos, entre la mer et l’entrée de la rivière.
Une colonie de sternes se repose sur un banc de sable découvert par le jusant. Le calme absolu dans ce bout du monde. Personne.

Demain, nous aborderons l’île de Nosy Lava, célèbre par son bagne. Ce "goulag tropical" ouvert en 1911 a eu en son temps le morbide record mondial du taux de mortalité en milieu carcéral. Certains " Damnés de la Terre" (du nom du célèbre reportage ayant obtenu le prix Albert Londres en 2000) y ont purgé jusqu'à dix fois leur peine initiale. La condition dramatique des prisonniers, pas nourris et souvent enchainés, n’a été découverte que très récemment.

Situé au bord d’une baie à l’eau couleur saphir et émeraude, le site et la digue d’accès sont aujourd’hui en ruine. La végétation a repris ses droits, et les branches bousculent les murs de calcaire qui s’effondrent.

Nous faisons voile jusqu’au nord de la baie, pour échouer les bateaux sur un isthme sablonneux miniature, terminé par un énorme bloc de basalte. Il y a à peine la place pour les deux trimarans, et nous devons déménager quelques morceaux de corail pour ménager les coques à marée basse. C’est naturellement sur un bloc acéré oublié, que Trimaki se pose un peu plus tard, occasionnant une belle entaille dans les fonds. Une de plus !

En début de soirée, nous avons la visite insolite de deux hommes se présentant comme les gardiens des lieux. Une heure de bavardages et quelques menus cadeaux plus tard, ils nous avouent être les derniers bagnards présents sur l'île.

Certes, ils disent tout deux avoir assassiné quelqu'un il y a longtemps, mais leurs dossiers carcéraux ayant disparu, leur situation n’a pas été régularisée à la fermeture du bagne. Ils ont été abandonnés à leur sort sans pouvoir quitter les lieux.

Du monde en mer !

Nosy Lava est la première île d’un long chapelet qui s’égraine jusqu’à l’extrême nord de Madagascar.
Notre progression d’île en île dans des brises légères, se fait sur des eaux au large spectre de couleurs, en raison des innombrables massifs coralliens faiblement immergés. Si nous ne craignons rien à les traverser avec nos multicoques, il faut être extrêmement vigilent sur une unité hauturière.

La cartographie de la région est erronée de près d’un mille et demi, et largement incomplète ! Des bancs aux sondes d’environ 10 mètres, s’étendent sur plusieurs dizaines de milles au large et barrent la route vers les Comores et l’Afrique. Nombre de navigateurs y ont laissés leur quille, en talonnant par mer forte sur des reliefs immergés d’à peine 5 mètres.

Ce labyrinthe offre du plancton en abondance aux requins-baleine présents à cette période de l’année, alors que les derniers cétacés ont déjà quitté les tropiques pour le grand Sud. Il est facile de repérer ces monstres inoffensifs grâce aux oiseaux qui survolent les « chasses », impressionnants marchés aux protéines, où une bonne partie de la chaîne alimentaire s’entre dévore à la surface de l’eau !

La ligne de traine ne reste jamais longtemps à l’eau sans une touche sérieuse. Aux abords d’une chasse, elle file en faisant cliqueter le moulinet : je commence à rembobiner et sens une vive traction, mais de très courte durée… c’est un demi-thazard que nous remontons, partagé avec un requin ayant laissé de saignantes traces de dents sur la bête ! C’est fréquent dans la région. 

Nous croisons quotidiennement, aussi bien des pêcheurs locaux sur de petites pirogues monoxyles, qui posent des filets ou plongent au large, que de longues pirogues Sakalava transportant fret et passagers.
Comme toutes les pirogues ici, la coque est creusée dans un tronc et le balancier est à droite, mais les plus grandes d’entre-elles sont surmontées de bordés.

La cote Ouest malgache est une autoroute maritime, fréquentée par de nombreuses pirogues, boutres et goélettes. Comme l’infrastructure routière n’existe pas, tout est transporté par ces camionnettes de la mer (planches ou troncs, charbon, produits des cultures, et divers matériaux de construction).

Nous les rattrapons, ce qui est l’occasion de bavardages : « Tsara sambo ! », s’exclament en général les marins.
« Bons bateaux ! », oui, car nos trimarans pourvus de dérives et beaucoup moins lourds que les pirogues font un meilleur près !
Par contre, dans une brise soutenue au bon plein, les plus grandes d’entre-elles font parler leur voilure gigantesque et la finesse de leur carène. Nous les voyons s’éloigner devant nous !

Des Radamas, à Nosy Iranja et Baramamay

En même temps qu’arrivent les orages, dus aux massives montagnes boisées dont nous approchons par le sud, la brise thermique faiblit jour après jour, et nous oblige à progresser au moteur pendant le long calme de son inversion en fin de matinée.

Le bivouac à Nosy Antanimora, l’une des quatre îles des Radamas, se transforme en douche froide jusque dans les tentes, résistant mal aux 300 mm de pluie tombés en une heure. Le linge est bien rincé, certes, mais nous décidons de nous offrir notre première nuit à l’hôtel pour sécher un peu le personnel !

Nous n’avons pas plus de chance cette fois-ci. Sur Nosy Kalakajoro, l’île la plus au Nord de l’archipel, ce sont des ruines que nous trouvons ! Nous poursuivons donc notre route vers Nosy Iranja, située à mi distance de l’entrée de la baie de Nosy Be.

Nous progressons à deux nœuds et demi dans des brises anémiques et n’arriverons jamais avant la nuit sans mettre le moteur. J’évalue nos maigres réserves d’essences. Nous avions 15 litres au départ, il en reste environ 4 pour trois jours de mer.

Seabiby poursuit vers Nosy Iranja tout doucement, alors que nous tentons notre chance en rentrant dans Baramamay, une Ria toute proche.
A la vacation du soir, match nul. Nous avons tous trouvé des bungalows accueillants et bons marchés ! 

Antithèse de l’hôtellerie pour tourisme de masse, « Au bon crabe » est un petit hôtel tenu par Jocelyne, une malgache volontaire et débrouillarde, qui a construit au bord de l’eau une salle de restaurant sur pilotis et trois cases en bobos à la literie impeccable.
Vous ne trouverez pas de site internet, mais si comme nous, vous arrivez avec un très beau poisson, elle vous offrira le repas !

C’est agrémenté de délicieuses patates douces et des premières mangues de la saison, que Jocelyne nous cuisine à sa manière les meilleurs morceaux de la carangue !
Nous lui demandons comment elle réussit à s’approvisionner, car son restaurant est totalement isolé et sans accès par la terre. « Regardez les poules et les canards dans la cour ! » Un simple coup de fil à l’avance, et elle prépare à manger pour les groupes de 15 personnes débarquant des bateaux de charter ! 

Du cratère à Ankify

Il reste une cinquantaine de milles jusqu’à notre destination finale, la Presqu’île d’Ankify, sur la grande terre. Une multitude de jolis mouillages s’offre à nous le long de la cote sud de la grande baie de Nosy Be, mais la perspective de retrouver des copains bateau pas vus depuis des années, nous fait changer de programme.
Je passe un coup de fil et nous sommes tous attendus avec enthousiasme par des amis vivant à Nosy Be sur leur voilier. Nous pourrons bénéficier d’une bonne douche et de cabines aérées sur Fruit de la passion, le Maracuja 42 de nos amis !

Nous retrouvons Seabiby à la hauteur de Nosy Iranja, et faisons voile ensembles vers le Cratère, le mouillage organisé sur la cote Sud de Nosy Be, distant de 30 milles.
Il souffle un bon thermique dans la vaste baie entre Nosy Be et la grande terre.
Les Trimarans cavalent sous gennaker et sèment la panique dans les bancs de poissons volants qui fuient juste devant l’étrave, mais c’est une autre rencontre étrange que nous faisons.

Trimaki passe sur un premier gros sac de toile à demi immergé, puis un deuxième, avant d’en aborder un grand nombre. Quelques uns sont éventrés, mais la plupart intacts. Nous naviguons sur une mer de charbon de bois !
A coup sûr, un orage violent aura fait couler une grande pirogue ou un boutre et les marins auront jeté les sacs par-dessus bord pour sauver (ou non ?) le bateau. Nous ne saurons pas.

Notre arrivée à la voile dans le mouillage encombré du cratère ne passe pas inaperçue, et c’est à couple de Fruit de la passion, de chaque bord, que les deux trimarans passent la nuit. Ils font bien petits et fragiles à coté d’un monocoque hauturier de 13 mètres ! Les retrouvailles avec les bateaux amis au mouillage auraient pu durer, mais il faut rejoindre Ankify où nous attendent les voitures, transférées depuis Mahajanga par le chauffeur.
Il faut compter au moins deux jours de route, si tout se passe bien, pour remonter avec les bateaux en remorque jusqu’à Antananarivo.

Pour la première fois depuis le départ, nous abordons une plage exposée au vent fort. Les rouleaux risquent de rendre la situation très délicate, d’autant qu’il faut décharger. Si l’ancre légère portée au large ne tient pas, les bateaux peuvent être sérieusement endommagés en se mettant en travers.
Tony débarque seul et embauche dix solides pêcheurs, qui sont en train de nettoyer leurs filets sur la plage. Il les charge d’utiliser la même technique que pour leurs pirogues. Soulever l’un après l’autre les trimarans arrivant à pleine vitesse sur le sable, et les porter jusqu’en haut !

J’enrage d’avoir encore oublié de saisir mon appareil photo. La dernière fois que nous avons eu recours aux pêcheurs, 20 hommes ont porté Trimaki à bout de bras pour le faire passer au dessus des boutres en réparation en haut de la plage, et le déposer délicatement sur sa remorque. Le moteur et les voiles étaient encore en place.
Cette fois-ci, Ialy occupée à remonter le moteur hors bord a bien failli rester dans le cockpit, tellement les marins ont été rapides et habiles à soulever les 600 kg du bateau chargé !

Finalement, les deux trimarans n’ont pas plus souffert de cette remontée express, que des 10 jours de navigation hors piste. A part quelques balafres à mastiquer en fond de coques, et les supports de cannes à pêche en plastique arrachés par des poissons trop gros pour eux, les bateaux sont prêts à repartir !
Rendez-vous est pris pour l’année prochaine avec ces pêcheurs sympathiques pour remettre nos trimarans à l’eau.
Nous poursuivrons vers le Nord, et pourquoi pas jusqu’au cap d’Ambre, la pointe extrême de Madagascar ?

Epilogue : c'est la dernière navigation de Trimaki, qui n'a jamais revu l'eau. Je suis tombé gravement malade après ce raid nautique et le bateau est sous une bache dans le jardin depuis maintenant 7 ans. Il est à l'état neuf, prêt à reprendre la mer, mais ce sera probablement avec quelqu'un d'autre !

Le photos arriveront au fûr et à mesure que j'arrive à les mettre en ligne. Il y en a beaucoup.

03 déc. 2022

Merci Vincent pour ce beau texte 👏

03 déc. 2022

Merci pour ce beau moment imagé que j'ai suivi sur navionics et google earth.

04 déc. 2022

Merci a vous 🙂

Si ces longs textes ne vous rebutent pas trop, j'en ai d'autres, de navs sur la côte Est, plus dure. Avec des photos également.

04 déc. 2022

De beaux textes comme ça ne peuvent pas rebuter !

04 déc. 2022

tres beau reportage,merci

04 déc. 202204 déc. 2022

Merci à toi, totof.
Je mettrai un autre texte d'ici une semaine.

Quelques images extraites du film de ce raid (il fait une heure, trop lourd pour que je le mette en ligne).
C'est le passage de la Mahajamba, où les trimarans faisaient des bonds.

Pour info. J'ai à nouveau optimisé et augmenté la puissance de mon trimaran depuis ce raid. La GV à corne, munie d'une bôme est bien plus puissante que la vieille GV de Dart 18.
Les trampolines sont munis de bancs au vent, confortables et permettant un bon rappel sans prendre de l'eau plein la gueule au près.

04 déc. 2022

Très joli récit et sacrée aventure. On en redemande!

05 déc. 202205 déc. 2022

J'ai décidé de vous livrer tous les textes à l'envers, en remontant le temps !

Pour saisir certaines situations délicates, je précise que lors de ce raid sur la difficile côte Est de Madagascar, mon trimaran était encore équipé de petits flotteurs, dessinés pour les tranquilles canaux des Pangalanes... pas pour la haute mer !

Raid Trimaki à Madagascar octobre 2014

Pour ce nouveau raid en direction de la côte Nord Est de Madagascar, nous retrouvons Trimaki à Mahambo, petit village de pêcheurs situé sur la grande terre, à 30 miles de l’île Sainte Marie. Mon petit trimaran vert est endormi depuis un an sur sa remorque.

Il aura dorénavant un nouveau camarade. L’Astus 20.2 Seabiby – biby signifie animal en malgache - acheté par mon ancien équipier, Stéphane et sa compagne, Ialy. Le trimaran, trouvé d’occasion en France et fraichement convoyé en Containeur, n’a pas fait l’objet de la mise au point souhaitée. Pas le temps. Néanmoins, nous effectuons juste avant la mise à l’eau, quelques travaux indispensables sur les deux trimarans, dont la fixation de supports de canne à pêche à l’arrière des Cockpits.

Car cette année, c’est décidé : on pêche ou on ne mange pas !
Terminé, les boites de conserve qui alourdissent les coffres de nos multicoques rapides.
Pour cette délicate mission, ratée l’année dernière, je me suis adjoints les services de l’équipier adéquat. Fred, un copain passionné de pêche et décidé à en découdre avec les poissons de cette difficile cote de l’océan indien.

Pendant les deux jours nécessaires à la préparation des bateaux, nous sommes chaleureusement accueillis à Mahambo par Raoul, un ami qui assure toute la logistique – logement et repas. Bonnes bouffes et humeur joyeuse sont garanties, autour d’une grande table où la convivialité prend tout son sens.

Nous appareillons un lundi matin par un temps magnifique, en faisant route au moteur sur le Sud de l’île Ste Marie. La traine est sortie mais rien ne mort, au grand dam de Fred, qui déplore déjà, en vrac, la disparition des ressources halieutiques, la surpêche, les massacres écologiques, le réchauffement des océans et réfléchit à la vente de son matériel de pêche dès le retour.
A mi chemin, Stéphane m’appelle à la VHF. Il a vidé intégralement l’intérieur de Seabiby et a fait plusieurs fois le tour du pont. La porte du bateau a disparu !
Inutile de faire demi tour, le panneau en stratifié a du couler. Un plancher de couchette fera l’affaire…

Le vent s’établit NE force 4. Nous louvoyons dans une mer qui lève rapidement, sur cette cote exposée à l’océan indien. Trimaki progresse à plus de 5 nœuds et Fred qui monte pour la première fois sur un voilier est surpris par les ruades du petit trimaran et les volées d’embruns salés.
Je ne suis pas inquiet. C’est le genre de gars qui, assis de l’eau jusqu’au cou sur le trimaran chaviré, demanderait calmement si c’est bien comme ça que le bateau navigue.

Je m’inquiète d’avantage pour Stéphane et Ialy, car c’est la première fois qu’ils naviguent seuls…et c’est par vent fort, au vent d’une cote sans abris, sur un bateau pas au point, sans porte de descente.
Steph m’appelle. Tout va bien, mais il est en train de perdre son safran sur rupture de goupille … il gère. Il rappelle 15 minutes plus tard : c’est réparé !

Le vent forcît avec rafales lorsque nous arrivons sous le vent de l’île Ste Marie, à tel point que Trimaki, pourtant arisé, plante son flotteur, qui s’immerge profondément. Je largue l’écoute de GV en dégringolant du flotteur au vent. C’est la première fois que nous passons si près du chavirage !

Nous longeons l’île au Nattes – petite île séparée de Sainte Marie par un lagon - après avoir abattu. Nous approchons à l’aveuglette et à vive allure d’un récif frangeant sans passe visible. Heureusement, nous repérons au dernier moment un gros piquet de bois, qui semble marquer une passe étroite dans laquelle nous-nous engouffrons à 10 nœuds. En quelques secondes, sous les palmiers, c’est le calme plat. Le deuxième trimaran fait son approche du récif quelques minutes plus tard, et je serre les dents car sa GV n’est pas arisée et Steph n’arrive pas à rouler le foc. Seabiby rentre vite, très vite, mais au bon endroit !

Je porte planter l’ancre face au large en oubliant que les fonds sablonneux sont habités… par les centaines d’oursins. Je ne suis jamais pieds nus, pourtant les épines de 10 cm traversent la semelle de mes chaussons. J’ai mal sur le coup, mais le plus difficile est de retourner à la plage avec des piquants plantés dans les pieds.
Les épines d’oursin sont impossibles à extraire, car elles cassent quand on tente de les sortir.

Voila un raid qui commence bien !
Nous avons eu aujourd’hui une série d’incidents caractéristiques de parfaits débutants, qui me font douter de notre capacité à poursuivre, avec des conditions météo qui pourront devenir bien plus difficile, dans un coin où nous ne trouverons aucune aide extérieure.
J’ai un coup au moral, bien que je sache par expérience que la transition entre le boulot loin de la mer et la navigation est toujours un peu difficile après un an sans voir le bateau. Quand Stéphane et Ialy m’annoncent qu’ils n’iront pas plus loin, j’acquiesce.

Finalement, après le nettoyage des plaies et un peu de repos, le moral remonte et nous décidons de continuer vers le nord, plus calmement. C’est la raison pour laquelle nous n’atteindrons pas le Masoala, destination initialement prévue.

Après une nuit réparatrice, nous faisons route vers le nord, une bonne heure avant Stéphane et Ialy qui peinent toujours à se lever. Un vent de terre de Nord Ouest est fréquent en début de matinée, avant l’établissement des vents d’Est. Nous tirons des bords tranquillement le long de la cote, mais le clapot haché du canal Sainte Marie ralentit notre progression. Fred trouve plaisante cette navigation tranquille, pourtant il fulmine contre la surpêche, qui a vidé selon lui le canal de ses poissons. Rien ne mord à la ligne malgré le remplacement fréquent et savant du leurre que nous traînons.
C’est finalement vers 16 heures, au large d’une pointe rocheuse, que nous attrapons notre premier thazard. Il arrive à point, celui-là, car nous bivouaquons ce soir à la cascade et la perspective d’un carpaccio nous remplit d’aise.
La nuit tombe lorsque Seabiby pointe ses étraves. Il était temps, car les récifs ne sont plus visibles. Je guide Ialy à la VHF depuis le bout du quai.
C’est Fred qui prépare le poisson cru mariné, excellent. Ce sera toujours le cas.

Mercredi est une journée décrétée tranquille et réussie par tous dès le lever !
Nous n’allons pas loin, dans la Baie de Manompana que nous savons très abritée.
Trimaki a le droit à son bain matinal sous la cascade, histoire d’enlever un peu de sel.
Le capot de la soute, pourtant bien verrouillé, a laissé rentrer de l’eau de mer le premier jour.
La première rigolade de la journée est offerte par Fred qui tente de plier sa tente 2’’ Décathlon, sur la digue du petit port. Les deux premiers jours du raid m’ont suffit à le cerner. Ce garçon, intellectuel brillant, n’est pas très habile de ses mains !

Nous effectuons une pose mouillage à la Pointe à Larrée, impressionnante formation sablonneuse. Cette gigantesque virgule qui fait face à l’île Sainte Marie, est constituée d’une succession de dunes crées par les tempêtes et les courants, séparées entre-elles par des canaux remplis d’eau saumâtre. Elle est densément couverte de filaos et de cocotiers. Un cyclone peut changer radicalement la géométrie de son extrémité, à tel point qu’émergent à plus de 100 m en mer, des troncs de filaos encore enracinés.
Cette interminable plage de sable au relief accidenté, jonchée de bois flottés, de la noix de coco au tronc d’arbre déraciné, n’offre qu’un mouillage très précaire. Débarquer ne peut se faire qu’à la nage, au risque de casser les bateaux si on tente d’accoster.

Nous filons donc vers Manompana, distante de seulement 8 miles, par un vent de Nord forcissant. Je suis étonné de trouver cette baie, d’habitude si calme, blanche de montons. L’abri de l’Hôtel tout au fond de la baie est néanmoins parfait.
La question se pose de poursuivre ou non notre progression vers le nord, car le vent est prévu toujours aussi fort de cette direction pour le reste de la semaine.

Je propose de tenter le coup en partant très tôt le lendemain car le vent ne s’établit que vers 10 heures, et seulement 18 miles nous séparent du lagon d’Antanambe. En navigant « à l’anglaise » s’il le faut, nous devrions y arriver si la mer n’est pas trop dure.
J’ai trouvé le truc ! La menace d’une météo difficile est le meilleur moyen de lever Stéphane.
Mais 04 h 30, il en parlera encore dans un an, j’en suis sûr !

Nos amis sont à l’heure et nous filons en rasant la plage, à l’intérieur du récif frangeant, pour ne pas avoir à ressortir par la passe, distante d’un mile au Sud.
Là, se confirme l’analyse que faisions en ce début de raid, sur les traces du précédent. Nous avons eu l’année dernière des conditions particulièrement favorables qui ne se renouvellent pas. La promenade le long de la plage, se transforme en parcours du combattant entre les patates affleurantes. Moins de lumière, marée basse, vent, clapot.
Je tente de trouver le trou de souris qui permet de s’extraire du platier vers le nord. A l’observation attentive des vagues qui meurent sur le récif, je crois déceler la sortie et m’y dirige. Le temps que Fred crie attention, il est trop tard. Trimaki se pose sèchement sur le corail. Deux vagues suivantes, le bateau se dégage sans qu’il ait fallu manœuvrer.
Le trou recherché nous est indiqué par un pêcheur. Nous n’en étions qu’à 20 mètres. Seabiby connait la même mésaventure, bien que nous tentions de le guider par VHF après notre sortie. Sa coque n’est pas prévue pour ce genre d’incident et devra être renforcée au retour.

La mer et le vent contraires nous cueillent à la sortie, bien plus tôt que les prévisions météo et rendent la progression difficile, à tel point que Stéphane et Ialy envisagent de faire demi-tour. C’est la pêche qui nous fait tenir le coup. Plusieurs départs de ligne et un combat perdu face à une grosse carangue nous font oublier les conditions désagréables de la navigation.

Le lagon d’Antanambé, par sa taille et sa diversité, nous récompense de nos efforts. Il n’est pas accessible aux voiliers malgré ce qui ressemble à deux passes. Elles mènent à des champs de patates et des platiers, sans chenal visible. Avantages à nos petits multicoques : ils naviguent partout là où les autres ne vont pas !

L’ile de sable située au Nord Est nous attire. Elle est couverte d’une maigre végétation rampante et de quelques petits filaos. Elle se révèle bien plus intéressante que sa petite taille ne le laissait penser. Posée au bout d’un gigantesque banc de sable en bordure d’un chenal, la forme de l’ile et la diversité des fonds marins qui l’entourent sont étonnantes. Nous mangeons et tardons dans l’après midi sur l’ilot, à tel point que nous décidons d’y passer la nuit.
C’est sans doute le point d’orgue de ce voyage : robinsonnade, snorkeling, pêche aux oursins, établissement du camp, préparation de la carangue et d’un grand feu de bois flotté sur la plage en vue de la faire cuire.

Stéphane recueille sur la plage une jeune sterne, trop affaiblie pour se nourrir. Elle a le droit elle aussi à sa part de carangue, administrée crue en bouillie à l’aide d’une seringue !
La lumière du lendemain matin caressant le banc de sable découvrant, est exceptionnelle.
Nous n’avons pas franchement envie de partir, mais la perspective d’une très belle journée pour découvrir les trois îles de la réserve marine de nosy Antafana, nous fait lever l’ancre (nosy signifie île en malgache).
Nous laissons notre sterne sur son île, en espérant que le poisson ingéré lui aura redonné des forces.

Rentrer dans le lagon d’Antanambe, est une chose. En ressortir à l’autre bout en est une autre !
Ce n’est juste pas possible à marée basse, si on cale plus de 30 cm.
Nous zigzaguons suivant la couleur de l’eau, en espérant trouver plus de fond devant nous, mais à mesure que nous progressons vers le nord, les fonds remontent.
Toujours à la voile, nos petits trimarans jouent à « saute corail », avec parfois un peu d’aide du pied pour se dégager.

Une écrasante pétole nous attend à la sortie sur une mer clapoteuse. Moteur une fois de plus.
Nous faisons le tour de Nosy Antafana et mouillons les bateaux devant une plage pour déjeuner. Trois îles et quelques gros rochers basaltiques ceinturent un magnifique petit lagon, aux eaux extrêmement limpides. La pêche est strictement interdite à l’intérieur du lagon et réglementée à l’extérieur. Seuls les pêcheurs des trois villages les plus proches, situés sur la grande terre, ont le droit d’y pêcher à tour de rôle, un jour par semaine. Les gardiens de la réserve ont des moyens de surveillance et d’action très limités, mais la règle semble bien respectée par tous. Nous observons de très nombreux poissons en nageant le long du récif extérieur.

Le parc national du Masoala n’est distant que de 30 miles vers le nord, mais c’est la direction du vent prévue pendant plusieurs jours encore, avant qu’il ne vire au secteur sud, avec l’arrivée de pluie.
La perspective de devoir parcourir 150 miles au près sous la flotte, met les deux équipages d’accord. Nous ferons route au sud dès cet après midi.

Nous relâchons dans un hôtel désert à Antanambe où Eve, la patronne, nous prépare le Thazard que nous lui amenons.
Elle nous apprend que l’île de sable n’a que cinq ans d’existence, formée l’ors d’un cyclone. Elle y a planté des palmiers pour stabiliser le sol, mais les habitants du village les ont arrachés.
A Madagascar, un terrain vierge appartient de fait à celui qui l’a mis en valeur en y plantant des cocos. De peur que des wasas (étrangers, en malgache) s’approprient une terre, ils les ont déplantés. C’est peine perdue, car ce cordon de sable récemment végétalisé, sera probablement balayé aussi promptement qu’il a été créé…

Nous imaginons une descente vers Ste Marie sous Gennaker samedi, mais ce sont de très forts grains de secteur Est qui nous attendent à la sortie du lagon. La mer qui lève dangereusement dans la passe rend la situation tendue à bord des trimarans. Il faut s’extraire au près serré, au vent des brisants.
Stéphane et Ialy peinent à prendre un ris, devenu indispensable, car les creux dépassent deux mètres et n’y a pas assez d’eau à courir. Finalement, ils lancent le moteur pour se dégager des brisants, vent debout.
Fred, pas découragé, s’apprête à mettre la ligne de pêche à l’eau mais je l’en dissuade car si ça mord, nous serons dans l’incapacité de la remonter.
A mesure que nous abattons en nous dégageant de la barrière, le soleil revient et le vent se calme.
Les gennakers, pas encore déroulés depuis le début du raid, vont pouvoir défroisser leurs plis !

Fred découvre enfin le bon coté de la navigation : les longues glissades à plat où l’air sec respiré remplace les claques d’embruns qui font cracher du sel toutes les cinq minutes.
C’est l’occasion de comparer les performances des deux trimarans, car les conditions ne l’ont pas permis jusque là ! Seabiby fait parler sa longueur de flottaison supérieure et la puissance de son gennaker, deux fois plus grand que celui de Trimaki. Je râle contre ma voile, coupée trop petite, car Seabiby tient plus longtemps les surfs et creuse l’écart à chaque vague.

Les vidéos que nous enregistrons en longeant la cote nord ouest de Ste Marie, ont tout des images publicitaires pour paradis tropicaux : eaux du bleu turquoise au jaune vif, littoral bordé de plages de sable blond, ombragées par de grands cocotiers, rochers de basalte ronds.

Notre destination est à nouveau le site de la cascade, son eau fraiche et douce, son petit port, son quai de pierre et son esplanade, qui nous offre un refuge idéal.
Le thazard et le mérou pêchés peu avant l’arrivée, nous garantiront à la fois des protéines et de nombreuses bananes mûres offertes par le gardien des lieux, en échange du reste des poissons. Nous hésitons à monter les tentes, car cet endroit est exempt de moustiques. La perspective de l’averse de fin de nuit nous décide à les déplier.

Le lendemain, nous longeons la cote ouest de Ste Marie vers le Sud. Nos petits multicoques dévalent les vagues sous le soleil, avec des pointes à 14 nœuds malgré le chargement important. Je ne crains plus pour la tenue du mat de Trimaki, source d’inquiétudes l’année dernière, car le rail installé avant le raid garantit une bonne tension de la chute de GV et une paire de bastaques améliore la tenue latérale du profil. A notre grand soulagement, le mat de Seabiby tient également le coup. Nous avions des craintes légitimes, car Stéphane a du le couper en deux, pour le transport en conteneur, puis le manchonner avec un profil d’aluminium façonné de façon très imparfaite à Madagascar, à défaut de manchon existant pour ce petit mat alu.

Nous arriverions à Mahambo, distant de 50 miles, le soir même tellement nous allons vite, mais pas pressés, nous pénétrons dans le lagon séparant l’île Sainte Marie de l’île aux Nattes.
Après une semaine dans une nature préservée, nous sommes choqués par la pollution générée par les trop nombreux hôtels qui bordent le plan d’eau et l’odeur d’égout qui règne sur le chemin menant au village.

Nous rentrerons à Mahambo demain, soit 8 jours après notre départ. Nous avions prévu 10 à 12 jours de raid, mais la perturbation de secteur Sud prévue arrive.
Nous appareillons sans empressement, car le vent ne changera de secteur qu’en fin d’après midi.
Une légère brise de nord nous permet de nous déhaler à cinq nœuds. Nous concentrons notre attention sur un voilier d’une douzaine de mètres que nous-nous déroutons pour saluer, car il est extrêmement rare de croiser un autre voilier sur la cote est de Madagascar. Sans succès, le bateau qui arrive probablement de la Réunion, progresse sous pilote et personne ne se montre dans le cockpit.

Un nouveau départ de ligne. Nous sommes rodés. Les cafouillages des premières touches sont derrière nous. Fred doit réagir très vite pour ferrer le poisson pendant que je mets le bateau en panne. Dans le principe, c’est simple, mais l’organisation de l’espace du petit trimaran n’est absolument pas adaptée à la pêche sportive. De nombreux éléments d’accastillage, dont le stick et la grande écoute, entravent les mouvements du pêcheur.
Le bateau se dandine sèchement tout en progressant assez rapidement sous le vent, en raison de l’absence de dérive sous la coque centrale.
Cette fois-ci Fred est bien installé derrière le bras de liaison. Devant les objectifs croisés des caméras embarquées à bord de Seabiby et Trimaki, il remonte sans soucis technique une magnifique dorade coryphène. La caméra sous-marine, immergée à l’extrémité de la gaffe à poisson, permet d’enregistrer le comportement caractéristique du poisson en surface et de saisir ses couleurs bleu électrique et jaune vif, car elles disparaîtront après sa capture.
Notre pêcheur exulte car c’est sa première coryphène, celle pour laquelle il est venu faire ce raid. Il était temps, le dernier jour !

A peine la ligne remise à l’eau et les voiles rétablies, le vent vire au sud … 12 heures plus tôt que prévu. Il est pour le moment calme, mais le ciel sombre annonce la bagarre.

Nouveau départ de ligne, mais Fred peine à remonter la bête qui s’annonce puissante.
Il souffre musculairement, se crispe de douleurs lombaires et doit s’arrêter fréquemment pour récupérer. Il a le visage tendu par l’effort et la concentration, mais je perçois le plaisir qu’il éprouve à exercer une de ses passions.

Le poisson arrive cette fois-ci des profondeurs. La prédiction de Fred est la bonne. C’est un thon de belle taille qui se présente verticalement sous le bateau. Il faudra encore du temps pour fatiguer la bête d’une vingtaine de kilogrammes et la harponner.
Fred, ravis, nous promet deux bouteilles de Champagne, car ce thon albacore est également une première !

L’arrière de Trimaki est chargé de 30 kg de poisson quand nous remettons à la voile. Le vent atteint maintenant 25 nœuds. Les 20 miles de louvoyage qui nous séparent de notre destination finale face aux vagues cassantes vont finir en véritable branlée, si le vent continue à monter !

Les bateaux trop chargés tapent et souffrent, à tel point que les flotteurs de Seabiby commencent à s’ouvrir sous la liaison pont-coque et font de l’eau. Trimaki quant à lui, en a vu d’autres, il ne cassera pas encore cette fois-ci.

Nous sommes secoués et trempés jusqu’à l’os malgré nos équipements, mais le moral est au beau fixe :
nous-nous savons attendus à Mahambo par Raoul, qui a déjà branché un congélateur de secours pour y conserver les poissons !

Photos à venir à fur et à mesure que j'arrive à les mettre en ligne !

05 déc. 2022

Super récit 👏👏👏

06 déc. 2022

Merci, chouette !

05 déc. 2022

MERCi !!!

06 déc. 2022

excellent merci

06 déc. 2022

Je me suis régalé, heureusement que j'avais déjà mangé........

07 déc. 2022

Merci à vous.
Alors, avant le prochain texte, mangez bien, car le menu sera constitué de boites de conserve !!

07 déc. 2022

Très beau récit, belle écriture imagée. Merci

07 déc. 2022

Idem, jolie prose et belles histoires. Merci l'ami que je ne connais pas pour ces bon moments partagés :)

07 déc. 2022

@FLV,
Tu me fais de plus en plus regretter de ne pas avoir pu m’arrêter à Madagascar!

07 déc. 202207 déc. 2022

Ne regrette rien, Lakatao. Voici la suite !

Je précise à nouveau. On remonte le temps depuis trois textes. Celui-ci est donc le premier chronologiquement, et le dernier de cette série.

Raid vers la presqu’île du Masoala sur Trimaki. Octobre 2013

La genèse de Trimaki.

L’aventure commence en 2008 lorsque j’obtiens une mutation professionnelle à Madagascar.
J’ai déjà navigué plusieurs années dans cette région magnifique et un ami me propose de m’aider à convoyer mon dériveur hauturier de 34 pieds depuis St Malo !
J’accepte avec enthousiasme et nous effectuons dans la foulée le voyage par le canal de Suez.

Malheureusement, le rêve de naviguer des Chagos à l’Afrique du sud, se transforme rapidement en cauchemar.
Les dégradations sur le bateau, dues à l’absence d’infrastructures adaptées et les lourdeurs administratives sur fond de corruption ont rapidement raison de mon enthousiasme. Je vends le bateau.

De ces déboires, nait le projet TRIMAKI (de Trimaran et Maki, le lémurien endémique de Madagascar).
J’imagine un trimaran transportable à l’opposé des contraintes d’une unité hauturière, pour changer facilement de bassin de navigation, possible à mettre à l’eau n’importe où sans cale ni grue, et à ranger à l’abri dans un garage. Il devra être capable de naviguer à la voile dans les eaux très peu profondes et non cartographiées des canaux et lagons, mais également de couvrir des centaines de milles en autonomie tout autour de Madagascar.

Un trimaran d’environ six mètres, démontable, insubmersible et doté d’ailerons fixes sous les flotteurs répond à priori à ce cahier des charges complexe. Il suffit d’en trouver un, mais il n’existe aucune unité de ce type dans le pays. Quant à importer un trimaran de 20 pieds depuis la France, la vente du dériveur hauturier n’en couvrirait pas les frais !

Comment faire ? Dessiner et construire le trimaran dans mon garage, en dehors des heures de boulot, tout simplement. Ce ne sera pas le premier bateau que je construirai, d’autant plus que je sors tout juste de la reconstruction du dériveur de 42 pieds d’un ami après son naufrage et sa destruction partielle.

J’adapte les caractéristiques du bateau à des plans d’eau particuliers, comme le canal des Pangalanes, longue voie maritime abandonnée à la végétation, ainsi que les lagons de la côte Est du pays, inaccessibles avec plus de cinquante centimètres de tirant d’eau. Je dessine un premier trimaran sur papier, comme j’ai appris à le faire il y a 20 ans, puis finalement une deuxième fois après avoir apprivoisé un logiciel professionnel qui n’existait pas à l’époque où j’ai fait mes études.

La coque centrale en verre-époxy, large à la flottaison et sans redans, garantit une capacité de charge suffisante tout en conservant des formes simples compatibles avec la fabrication rapide d’un mannequin mâle en Isorel (du carton compressé). Je prévois un gréement de goélette à mats égaux autoportés en bois collé, avec deux grand-voiles à bordures libres, qui abaissent le centre de poussée vélique, dispensent de haubans et d’accastillage complexe.
Ce choix pas idéal pour les performances est dicté par l’absence totale de tout matériel nautique dans le pays.

Cependant, l’avantage de cette formule en goélette est que les flotteurs, également moulés sur un mannequin mâle, sont de faible volume, donc légers et faciles à manipuler s’il faut démonter le bateau pour passer par-dessus un bras de mer ensablé. Ils sont équipés d’ailerons fixes qui permettent la navigation à la voile dans quelques dizaines de centimètres d’eau, contrairement à une dérive. Enfin, les bras en bois moulés longs de 4 mètres sont d’une seule pièce et se fixent par manchonnage sur le flotteurs et laçage sur la coque centrale.

Les moules et les trois coques en verre-époxy sont fabriqués début 2009 en pile trois mois en bossant toutes les nuits à partir de minuit ou 02 heures du matin, jusqu’à 06 heures, l’heure où je lève les enfants et me prépare pour le boulot. Le gros œuvre des coques jusqu’au pontage en CP stratifié époxy est réalisé en environ 300 heures, toujours la nuit et le dimanche. Il m’en faudra le double pour fabriquer les bras de liaison en bois moulé et obtenir une finition convenable.

Alors que je sèche un peu sur la réalisation des mats jumeaux, je dégotte finalement un mât alu de Dart 18 à Mayotte, qui me dispense de la fabrication délicate de ces deux mâts creux en lattes de Famélano, un bois local de la famille du balsa que j’ai utilisé pour les bras de liaison. Mais du coup il va falloir que je ramène de France la totalité de l’accastillage, voiles, gréement et équipement. Même la visserie inox est introuvable à Madagascar.

Lors des premiers essais sous voiles six mois plus tard, le bateau se révèle équilibré à la barre et rigide, mais peine à remonter convenablement au près, en raison d’ailerons trop peu profonds et mal profilés. En plus, quelques échouages sur les plages et plateaux coralliens lors des premières navigations ont raison du fond de la coque centrale, pourtant largement échantillonnée. J’ai sous estimé l’agressivité du corail.

Quitte à remettre le bateau en chantier, j’en profite pour le modifier significativement. Je moule de nouveaux bras de liaison nettement plus longs que les premiers, avec un dièdre important afin que les flotteurs puissent recevoir des ailerons asymétriques plus profonds, équipés une cornière inox en bas, pour résister aux talonnages. Les premiers se sont rapidement déchirés lors des échouages. Enfin, j’ajoute à la coque une bande molle centrale en bois stratifié, augmentant le tirant d’eau de 5 cm, mais protégeant parfaitement les fonds.

Les défis à relever pour naviguer jusqu’au Masoala

De 2010 à 2012, nous effectuons plusieurs navigations tranquilles sur les canaux des Pangalanes et à l’île Sainte Marie, mais j’espère réussir un jour à naviguer vers la presqu’île du Masoala.
C’est que la navigation vers la cote Nord Est de la grande île a une toute autre dimension que les balades actuelles !

Le parc national de Masoala bordé de lagons vierges et splendides, est le plus grand de Madagascar, totalisant 240 000 Ha de forêt tropicale humide et d’aires marines protégées.
L’accès à l’extrémité de cette presqu’île extrêmement isolée, qu’aucune piste ne traverse, se fait par bateau ou au prix de plusieurs jours de marche dans une forêt si dense que 90 % de la lumière n’atteint pas le sol.

Le Masoala figure parmi les régions les plus riches en biodiversité, totalisant plus de 50% des espèces de plantes du Pays et des espèces de mammifères, d’oiseaux, d’amphibiens et de reptiles.
On y croise bien sûr la baleine à bosse et la baleine franche australe, le grand dauphin et le dauphin à ventre rose, mais également le dugong, les tortues marines et de nombreux oiseaux de mer, Sternes et pétrels.

L’envers du décor, le voici : la côte Est de Madagascar est soumise aux conditions climatiques de l’Océan Indien. La saison cyclonique s’étend sur 6 mois, de décembre à mai, puis arrive l’alizé puissant de Sud Est, amenant avec lui la pluie et une forte houle. Les abris sûrs sont rares, distants d’au moins 50 milles les uns des autres et il nous faut naviguer environ 300 milles aller-retour depuis la mise à l’eau la plus proche accessible par la route.

Bref, à priori pas des conditions de navigation pour un trimaran de six mètres.
Mon pote Stéphane et moi avons envie de relever le défi !

Seuls les mois d’octobre et novembre garantissent des vents cléments et un temps sec, sans risque cyclonique.
C’est donc la période que nous choisissons.

Cette navigation de plusieurs centaines de milles présente toutes les contraintes inerrantes aux raids prolongés en autonomie complète. Nous prévoyons dix à douze jours, soit un chargement très conséquent en nourriture et en eau. Seulement, pour que Trimaki conserve ses aptitudes à naviguer vite et en sécurité, le poids embarqué ne doit pas excéder 250 kg, équipage compris.

Nous devons renoncer à pas mal d’éléments de confort !
Il est évident que nous préférons rentrer culs nus, plutôt que morts de soif, atteints du palu, ou d’infections diverses, qui s’enveniment très vite sous ces latitudes.
Nous nous autorisons, à quelques détails près, deux slips chacun, un caleçon de bain, un haut en Licra, une chemise à manche courte, casquette, lunettes de soleil et un imperméable.

Proche de la fin du raid, Stéphane sortira un troisième slip du fond de son sac. J’ai cru à une tricherie de sa part, mais il s’agissait en fait du premier des deux, recyclé après ce qu’il faut de temps pour qu’il soit considéré comme propre !

Malgré un calcul au plus juste des rations et de l’équipement, le coup de grâce à la ligne de flottaison est l’embarquement du moteur Hors bord et de 25 litres d’essence.
Il y a de quoi faire grimacer les puristes du raid côtier, mais un moteur fiable est un élément de sécurité indispensable sur cette côte. La houle de l’Océan Indien vient continuellement s’écraser sur les barrières aux passes étroites et un démâtage accidentel est toujours possible avec l’impossibilité de trouver du secours.

Départ de Mahambo : premier jour

Nous atteindrons le Masoala après quatre jours de mer vers le nord, le plus souvent au près serré, dans des vents trop faibles pour que le bateau chargé progresse convenablement à la voile.
Nous n’effectuons que 50 milles par jour, dont le tiers au moteur.

La baie de Manompana : deuxième jour

Cette baie est aussi belle qu'étonnante. Elle est protégée des vents dominants par une longue presqu’île de sable recouverte de végétation dense et par une barrière de corail, qui ménage une passe profonde de 10 mètres.
C'est le seul trou à cyclone de la région, à mi chemin entre Tamatave, 100 milles au sud et Maroantsetra, 100 milles au nord.

C'est la raison pour laquelle les cartes marines montrent un balisage. Mais je vous mets au défi de trouver quoi que ce soit ! Cela fait bien longtemps que les bouées ont disparu, mais pas les patates de corail affleurantes qui rendent l’entrée très délicate dès que le Soleil baisse sur l’horizon.
Plusieurs fois, je dois donner un grand coup de barre pour ne pas empaler Trimaki sur une patate tabulaire à fleur d’eau..

Tout au fond de la baie au nord, derrière un petit appontement et une végétation luxuriante, se cache un hôtel constitué de bungalows rustiques en bois, couverts de feuilles de palmier.
Nous avons bien du mal à le trouver, car le ponton n’est pas visible de loin. Il était temps d’arriver ! A 17 heures, le soleil passe derrière les montagnes, donnant à la côte un aspect uniformément noir.

Blotti entre la forêt dense des montagnes et les eaux calmes de la baie, l’endroit est d’une sérénité absolue ...
Le repas complet, préparé par la patronne, avec la pêche du matin, coûte environ un euros cinquante.
La nuitée ne coûte guère d’avantage.

Après un café vite avalé sur la terrasse à 05 heures au lever du Soleil, nous quittons la baie au moteur sur une mer d’huile. Un temps aussi calme est très rare sur la côte Est. Une aubaine pour faire route sur le récif frangeant dans cinquante centimètres d’eau, exercice impossible ou suicidaire lorsque le vent se lève !

Nosy Antafana : troisième jour

Nosy Antafana (Nosy signifie île en malgache) est le tout premier parc marin créé sur la grande île.
Ce groupe de trois îlots, à un mille de la côte, est entouré d’un petit lagon aux coraux multicolores.
Des colonies de roussettes occupent le grand îlot, couvert de forêt.
L’accès à la réserve est en principe soumis à paiement d’une taxe, mais les gardiens doivent dormir dans leur local et ne nous voient pas arriver !

Derrière la vue paradisiaque de la forêt vierge bordant les plages désertes et le lagon, l’ile est malheureusement infestée de rats et y passer la nuit est un véritable enfer.
Arrivés sur le coup de midi dans le lagon, nous mangeons à l'ombre d'un palétuvier, puis barbotons.
Au flot, l'eau remontant sur le sable découvert est tellement chaude, qu'il est presque insupportable d'y nager !

Pressés de repartir en raison du vent très faible et des 50 milles nous séparant encore du Masoala, nous quittons la réserve en début d’après midi, comme nous sommes arrivés : au moteur.
La brise salvatrice d’Est se lève finalement une heure plus tard, pour ne plus nous quitter pendant une semaine.

Cap Bellone : soirée du troisième jour

Le cap Bellone marque l’entrée sud de la large et profonde baie d’Antongil, dernière étape nous séparant du parc national du Masoala.

Le lagon bordant le cap, dont la passe se trouve coté Nord, est assez étonnant. Il est parsemé de rochers ronds basaltiques et est difficilement navigable, en raison de fonds variant de 20 centimètres à 1 mètre maximum.
Mais ce n’est pas un obstacle pour Trimaki, car en l’équilibrant pour que l’aileron sous le vent ne s’enfonce pas, Il cale 30 cm en charge !

Bien sûr, dans ces conditions, notre trimaran navigue en crabe et ne peut éviter toutes les patates, qui font remonter la pelle de safran, m’obligeant à la redescendre de façon incessante. Mais quelle excitation de sillonner à la voile ces étendues vierges où aucun monocoque n’est jamais entré !

Nous tirons des bords pendant près d’une heure, les ailerons à raser le fond, pour aller au plus profond du lagon, là où il nous semble que doit se trouver une plage idéale. Nous la trouvons, notre plage de rêve, à l’ombre de grands palétuviers, juste assez large pour y poser la tente. Elle est jonchée de corail concassé de gros calibre, et bien gardée par une armée d’oursins.

Trimaki gratte et frotte le fond de corail mort, dans tout juste assez d’eau pour que la force vélique le propulse encore.

Stéphane, hilare, caméra à la main, me qualifie de grand malade : la résonnance due au crissement du corail dans les trois coques est impressionnante, mais j’ai totalement confiance dans la protection des fonds du bateau.
Finalement vaincus par le manque d’eau, nous tirons le bateau sur les 50 derniers mètres, tout en surveillant nos pieds car les oursins ont des épines longues de 20 cm.

S’en suit une bonne demi-heure de travaux de terrassement de la plage, pour dormir à peu près à plat sur un sable damé, avec l’assurance qu’à marée haute, l’eau viendra nous lécher les pieds, tellement la plage est étroite.

Ce n’est pas la mer qui nous réveille…

Chassé d’un mauvais sommeil par la lumière de plusieurs torches toutes proches, je gueule à Stéphane de prendre le couteau de pêche pour nous défendre.
Le temps que nous sortions de la tente, armes à la main, les torches s’éteignent et les assaillants s’enfuient dans la forêt.

Assommé de fatigue après une heure de veille, je me rendors, mais Stéphane ne ferme pas l’œil de la nuit.
Il a tout loisir d’observer de nouvelles torches… Nos assaillants ne sont en fait que les femmes du village voisin, qui pêchent à pied de nuit à la basse mer !
Lorsqu’elles ont vu cet étrange bateau vert et la tente en se rendant sur leurs lieux de pêche, elles se sont sauvées. C’est souvent le cas en brousse.
En remontant un fleuve avec Trimaki quelques mois auparavant, j’ai vu plusieurs fois des lavandières se sauver, abandonnant leur linge au courant du fleuve (J’ai raconté en détail ces deux histoires dans le fil n° 12).

Le lagon du sud Masoala : quatrième et cinquième jours

Trimaki traverse la baie d’Antongil sous gennaker, poussé à vive allure par un vent de Suet de 15 nœuds.
Les montagnes massives du Masoala se dessinent progressivement et contrastent avec les côtes déjà rencontrées. Sur le flanc Sud-Ouest que nous approchons, la forêt primaire descend de plus de 1300 m d’altitude jusqu’à la mer.

La ligne de traine est sortie, mais bien que la baie soit très poissonneuse, nul thazard, coryphène ou thon ne mord. Les 10 nœuds du trimaran cavalant sur les vagues, ne sont pas adaptés à la pêche.
Stéphane est désappointé, lui qui a obtenu si chèrement le droit d’embarquer 500 g de diverses sauces pour accommoder le poisson cru ! Il commence à s’impatienter de ne pouvoir manger de la chair fraiche.
Nous avalons des boites de conserves ou des plats lyophilisés depuis plusieurs jours.
Stéphane n’est pas au bout de ses peines…

Tout juste arrivés à la pointe Sud du Masoala, nous distinguons un ketch au mouillage.
Merde alors !
Nous aurions parié avant de partir, que nous serions les seuls à naviguer vers le Masoala, car il n’y a que deux voiliers résidents sur la côte Est de Madagascar. Les circumnavigateurs de passage ici sont extrêmement rares.

Je reconnais de loin le "Tonga Soa" (« bienvenue » en malgache), solide ketch en acier de 14 mètres, construit par mon ami Jean.

Lorsque nous arrivons à la hauteur du bateau, Jean est en train de négocier le prix de la pêche du jour auprès des pêcheurs, venus en pirogue à couple du ketch. Je tairai le prix, car je sais ce que vous payez les fruits de mer en France…

Le mouillage que nous découvrons est de ces mouillages rares, où tout marin rêve de jeter l’ancre un jour.
C’est une crique de quelques dizaines de mètres, adossée à la forêt et fermée par plusieurs îlots et rochers, distants de quelques mètres les uns des autres.
Comme le Tonga Soa ne peut pas y éviter, Jean l’a embossé en frappant des aussières à un ilot et plusieurs rochers immergés.
Nous avons pied dans toute la baie. La quille du ketch repose légèrement sur le sable à marée basse, malgré seulement 50 cm de marnage.

A peine arrivés et fêtées ces retrouvailles fortuites, Stéphane et moi remettons à la voile, pressés de découvrir le Lagon. Nous n’avions pas tout à fait tort de penser que nous serions les seuls à y naviguer.
Le lagon est de très faible profondeur, un mètre en moyenne, constitué d’immenses bancs de sable blanc, d’herbiers, et parsemé d’une infinité de patates à fleur d’eau. Impossible de s’y aventurer avec un monocoque, fût-il dériveur.

Je manque de mots pour décrire la beauté du site et notre excitation à y naviguer.
Tous juste entrés dans le lagon, nous découvrons une épave éventrée de navire, pris au piège de la météo ou d’une navigation hasardeuse.

Saisi par cette image d’épave sur fond multicolore et sonore de vagues à l’assaut des coraux, je retrouve l'excitation du gosse que j'étais il y a presque cinquante ans, découvrant les plages à l'époque désertes, de Houat jusqu'aux îles Scilly, à bord du muscadet familial.
Comme un enfant, je suis à la fois Robinson Crusoé et James Cook, oubliant au passage que ces lieux sont habités par des pêcheurs depuis des centaines d’années !

Le vent traversier et régulier nous permet de vagabonder pendant des heures, d’un banc de sable au suivant, séparé par un herbier ou un champ de patates.
L’exercice est grisant, mais bien peu raisonnable et s’effectue au prix de quelques talonnages brutaux.
L’architecture particulière de Trimaki prend là tout son sens. Heureusement, car nous serions rentrés de ce raid avec la coque centrale déchirée et la dérive cassée si le bateau en avait été doté.

Le phare de cap Masoala : cinquième jour

Au matin, pour se dégourdir les coques, au lieu de rentrer tout de suite dans le lagon, nous poussons à l’opposé vers l’Ouest, dans la profonde baie d’Antongil. La ligne de côte y est très découpée, et nous espérons trouver de belles baies.
Ce que nous trouvons effectivement après une demi-heure de voile n’est pas ce que nous espérions. Un vieux cargo chinois est mouillé au milieu de la première baie, et des troncs d’arbres sont grutés à bord depuis des barges.
Alors que nous approchons, un coup de fusil retentit… et c’est sur nous que ça tire. Demi-tour !

C’est le trafic de bois de rose de sinistre réputation, ultra lucratif et meurtrier, tant pour la forêt que pour les gens qui s’y opposent, qui s’opère sous nos yeux. Les responsables de ce trafic ne sont autres que les responsables politiques au pouvoir. Alors pas la peine de jouer les héros. On se casse et on fait comme si on n’avait pas vu.

De l’autre côté, à deux heures de navigation, à l’extrémité nord du lagon, trône la ruine du phare qui marquait autrefois l’entrée de la baie d’Antongil.
Il est dans le même état que tous les phares jalonnant les côtes de Madagascar.
L’optique de Fresnel et le cuivre ont disparu depuis longtemps.
J’ai visité de nombreux phares. Il ne reste de la plupart des escaliers en fer forgé qui gravissent les édifices, que des lambeaux de rouille qui ne permettent plus de s’aventurer au sommet.

Nous poussons encore plus avant l’exploration, malgré les fonds qui remontent. La petite île qui se trouve au large du phare nous intrigue.
Elle est ceinturée de fragments de pierres basaltiques, poussés à l’intérieur du lagon par les tempêtes.
Nous mouillons Trimaki à cent mètres de l’île, faute d’eau et continuons à pied.

Arrivés au vent de l’ile, surprise !
Face à la mer s’étend une chaussée d’orgues basaltiques d’environ 100 mètres. Les orgues sont particulièrement régulières et hautes de deux à trois mètres.
Il en existe également sur la cote nord-Ouest de Madagascar, dans les îles Mitsio, mais celles que nous foulons ne sont recensées dans aucun guide !

Le site est peuplé d’innombrables crabes, que nous tentons vainement d’attraper et de Glaréoles, oiseaux endémiques de Madagascar qui nichent à cette époque de l’année sur les rochers bordant la mer.

Le lagon d'Antanambé : sixième jour, vers le Sud

De retour vers le sud, nous faisons voile pendant quelques heures bord à bord avec Jean sur son ketch Tonga Soa, qui se rend à Tamatave.
Cette fois-ci, la brise légère et l’heure très matinale de notre départ sont propices à la pêche.
Comme notre vitesse est supérieure à celle du monocoque en acier, nous faisons plusieurs fois demi tour pour le rejoindre, mais croisons sa route de trop près et pêchons… sa quille.

Je coupe un grand morceau de la ligne pour éliminer la partie qui a raclé sous la coque. Il ne reste plus maintenant qu’un leurre pour quatre jours de navigation. C’est le leurre de miséricorde !
Comme on l’espère de l’ancre, il croche immédiatement et nous mettons le trimaran en panne. Je peine à remonter la bête que j’imagine être un thon de bonne taille, car il sonde profondément jusqu’à la verticale du bateau.
Malheureusement, la ligne cède alors que nous voyons le poisson apparaitre. C’est terminé pour la pêche. Nous n’avons plus de leurre et des 200 mètres de lignes sur le moulinet, il doit en rester 50…

Cette histoire de pêche peu glorieuse me vaudra quelques jours plus tard les quolibets des spécialistes locaux, lorsque j’expliquerai que le nylon de la ligne avait douze ans. Pris de compassion, l’un d’eux m’offrira une tresse haut de gamme, qui se révèlera d’une efficacité redoutable l’année suivante !

Le lagon d’Antanambé que nous abordons par la passe Nord, fait le tour complet d'une presqu'île et se referme sur une grande baie, face à la montagne couverte de forêt.
Jalonné de bancs de sable émergés et de grosses patates tabulaires, il est profond de 1 à 10 mètres, ce qui donne à l’eau de belles nuances de couleurs.

Le plus grand des bancs de sable que nous longeons, nous fait penser à l’île Tromelin. Il est plus petit que « l’île de sable », crainte par les Marins qui croisaient entre Madagascar et les Mascareignes, mais il en a la forme et sa partie nord est également constituée d’un monticule couvert d’une maigre végétation.
Cet îlot austère que les tempêtes du large doivent recouvrir, nous rappelle le naufrage tragique de la Flute l’Utile en 1761, et de sa cargaison illégale d’esclaves malgaches à destination de l’île Maurice.
(C’est l’île ou nous avons campé l’année suivante, et que je décris dans le texte précédent celui-ci).

L’île Sainte Marie : septième et huitième jour

Nous y retrouvons la civilisation, avec téléphone et internet, que nous captons à quelques milles de la côte. Sainte Marie est une île touristique, mais a su garder tout son charme.
Le bras de mer qui la sépare de la grande île est long de 60 km mais peu profond et totalement protégé de la houle du large. C’est la raison pour laquelle les baleines viennent y mettre bas, offrant aux touristes un spectacle quotidien qui fait oublier le temps maussade de l’hiver austral.

Nous sommes un peu tard en saison, pourtant nous apercevons une baleine et son petit alors que nous longeons Sainte Marie vers le sud pour rejoindre notre prochain bivouaque. Nous suivons la côte de près, car je ne connais pas la position de notre prochaine escale et le site est invisible du large.
C’est pourtant un port de plaisance. L’unique de toute la côte Est de Madagascar !

La nuit prochaine, nous ne dormirons pas sur la plage mais monterons la tente sur un quai en dur.
Le plaisir ne s’arrêtera pas là : Trimaki sera le seul voilier à quai dans cette vasque de 20 mètres de diamètre, fermée par une digue en pierre de taille.
Enfin, nous-nous rafraichirons d’un bain tonique dans l’eau douce qui se déverse à profusion de la cascade.
Une marina de luxe, quoi !

Le retour à Mahambo : neuvième et dernier jour

La météo annonce du vent de Sud, pour cette étape longue de 40 milles vers le Sud Ouest.
C’est la sixième fois que je fais cette traversée avec Trimaki, mais je l’appréhende toujours. C’est une route qui longe la remontée des fonds océaniques, de 800 à 20 mètres, parfois moins sur les hauts fonds.
Dès vingt nœuds de vent, les vagues deviennent abruptes et cassantes. La côte de Madagascar ne présente aucun repli. La mer brise sur les 50 km de plages qui nous séparent de notre but.

J’envisage autant que possible une route Sud, pour rester sur des grandes sondes, avant de piquer vers le village de pêcheurs de Mahambo, notre destination. Les grains qui se succèdent font virer le vent au Nord Est et comme un bonheur n’arrive jamais seul, il grimpe à 25 nœuds.

Le grand âge du mât en alu du catamaran de sport de 18 pieds qui équipe le bateau devrait nous inciter à la prudence en roulant le gennaker, mais ça fait une semaine que nous-nous trainons dans des vents faiblards. Nous manquons d’adrénaline !

Trimaki surfe les vagues à 15 nœuds pendant deux heures. « Put...g » la courbure que prend le profil autoporté dans les coups de frein en bas des vagues fait peur à voir. Mais le vieil espar tient bon.
A ce jour, 8 ans après ce raid vers le Masoala, il n’est toujours pas flambé, mais je l’ai équipé d’une paire de bastaques supplémentaire pour qu’il résiste à l’augmentation de 40 % de la voilure que j’ai effectuée.

J'envoie les photos en plusieurs fois, sinon, ça plante.

07 déc. 2022

Merci Vincent 👍👏

07 déc. 2022

Votre périple m'a épuisé!!! Bonne nuit, je vais bien dormir, la lune est belle ce soir.....

07 déc. 2022

Bravo! un bonheur ce fil.

08 déc. 2022

magique,
merci pour ces lumières dans notre froid occidental

08 déc. 2022

Toujours très chouettes, tes histoires, FVLS, et c'est un grand plaisir de te lire
Mais bien que tu mettes le niveau bien haut, je suis sur que beaucoup d'entre nous auraient des récits savoureux à partager.
Autant certains fils sont facilement polémiques et attirent parfois des réflexions acerbes, autant on garde sur celui-ci une bienveillance bien agréable.
Donc, pas de fausses pudeur ni de buvable honte.
Lâchez vous et faites profiter la communauté de vos aventures.

08 déc. 202208 déc. 2022

Merci à vous tous pour vos encouragements, et particulièrement à toi Eric avec cette idée de fil, lumineuse.
Cette série de 13 fils fait d'ailleurs un sacré carton. Le nombre de consultations est incroyable.
Et je suis bien d'accord. Nous avons tous les histoires insolites à raconter.
Je connais personnellement quelques lecteurs ici qui devraient s'y coller cet hiver !
Tiens, au hasard, Héol II !

08 déc. 2022

Merci Viencent pour ce récit et ces photos qui font bien rêver les héonautes plongés dans l'hiver !
(j'ai vu la première neige tomber ce matin)

Une chose m'intrigue, c'estsur ta petite carte "Libertalia" écrit sur Sainte-Marie.

Libertalia n'avait pas été fondée dans la baie de Diégo-Suarez ?
Ma mémoire me trompe ?

08 déc. 2022

Salut Arzak
C'est le nom d'un hôtel à sainte Marie. Celui en face du rocher observatoire des baleines autrefois, relié aujourd'hui à la terre par un appontement en bois.
J'envoie quelques photos en rentrant à la maison.
Il y des "libertalia" partout... Même de la bière. C'est devenu commercial.

08 déc. 202208 déc. 2022

Chose promitte, chose dûte !

Voilà des photos prises à l'île Saint Marie en 2016, devant l'hôtel Libertalia, qui fait face au canal Saint Marie, où les baleines à bosse viennent mettre bas.

Le trimaran Jaune est un bateau à la drôle d'histoire pas commune, que je pourrais bien raconter un jour...
C'est un Expresso 700 sur plans de Philippe Rivière.

Trimaki, avec sa superbe GV à corne est la version actuelle du bateau. Sur la photo, totalement lège, avec moins de 10 kg de matériel embarqué (4 bouteilles d'eau et deux repas), nous avons fait 80 milles au large avec mon pote Olivier, personnalité bien connue des marins de Saint Malo.

Dans ces conditions, avec toute sa voilure, le trimaran se comporte "presque" comme un gros cata de sport, et peut flirter avec les 18 nœuds sur les descentes de vagues. Le mât prend très cher, et je rêve d'un profil plus costaud.

A 30 milles en arrière plan, on aperçoit des montagnes qui culminent à environ 2000 mètres, sur la grande île.

10 déc. 2022

Un grand merci pour les infos et photos !

;-)

09 déc. 202209 déc. 2022

C'est dur de ce lancer après des histoires aussi bien racontées! J’espère que vous pardonnerez ma plume maladroite et un sujet moins exotique et aventureux
Même pas vraiment une histoire de mer, mais plutôt l'histoire de la découverte de cette dernière par un gamin des terres:

hum hum..

Tout a commencé il y a sept ans, par un livre acheté dans une brocante sur une île bretonne.

J'avais quitté ma plaine natale et étais arrivé là, le visage cramé après 4 jours à lever le pouce en plein cagnard, un sac crado sur des épaules pas plus reluisantes, arrivé au bord de l'eau un peu par hasard, pour y rejoindre un copain de lycée pas vu depuis, ce même hasard qui m'y avait fait y trouver du travail en un rien de temps.
Un tempérament calme et besogneux ainsi qu'une certaine propension a la picole m'ont vite attiré la sympathie de la faune endémique, pourtant dure a apprivoiser et prompte a la moquerie et au rejet de ceux extérieurs a leur microcosme.
Les conversations plus ou moins arrosées tournaient souvent autour de la mer, des bateaux, logique après tout sur une île.
J'y répondais, fier de ma réplique piquée dans un film :

"Moi la mer, j'y foutrais pas les pieds, ça fout les jetons, t'facon la flotte, j'la supporte que dans l'ricard."

Et on me disait que j'avais raison d'en avoir peur, je passais presque pour quelqu’un de sage.
Je ne mentais pas, je ne voyais pas quel intérêt pouvait-il y avoir à aller dans ce désert bleu, peuplé de poissons énormes et voraces, de vagues scélérates, hollandais volant et je ne sais encore quelles saloperies.
En bon gamin de l'Est, issu de parents dont les familles respectives sont paysans aussi loin que remonte leur arbre généalogique, le Lac du Der, c’était déjà trop pour moi, une petite rivière étant bien assez pour ce rafraichir les jours de grosse chaleur.
Je répondais la même chose au copain que j’étais venu retrouver, qui revenait d'un voyage au Cap Vert au départ de la Bretagne en tant qu’équipier, et qui, forcément me parlait enthousiaste de cette expérience.

Mais revenons à ce livre. J’étais un lecteur vorace, dévorant tout ce qui se présentais, c'était même devenue une nécessité, me permettant d'oublier brièvement la connerie humaine entre deux services.
Le bouquin était usé, les pages jaunies s'en décollant par endroit, la couverture cornée représentait le dessin d'un voilier a l'air vaguement asiatique sur un fond bleu pale. Le titre était "Vagabond des mers du Sud".
Évidement, cela sonne cliché maintenant avec le recul, mais à l'époque, je n'avais jamais entendu parler de ce Moitessier, c'était juste un livre comme un autre.
Certains moments n'étaient pas plaisants: ris? trinquette? tribord amure? tangon?
Je trouvais tout ce jargon chiant au possible, mais le coté débrouille et aventure résonnait en moi, de même que ces envolées lyriques et poétiques. (je sortais d'une période ou tous les auteurs de la Beat Generation m'étaient passé entre les mains, j’attaquais la période Bukowski et Fante) Il est fort probable que je trouverais ça un peu "pédant" voir même légèrement prétentieux maintenant, on change vite, et pas forcement pour devenir plus tolérant.
Je suis passé à d'autres lectures, me paumant dans les étoiles avec Azimov mais ce Bernard avait planté une petite graine en moi, sûrement pas tout seul, le récit de mon copain et les couchers de soleil sur le large ayant dus avoir leur part dans cette insémination.

La saison terminée, je suis passé a des réflexions plus terrienne, la construction d'une cabane en rondins dans un petit bois près de la ferme de mon vieux, passant l'hiver dedans à lire au coin du poêle, Thoreau aussi avait imprimé sa marque... Mais c'est une autre histoire.
Il n’empêche que durant cet hiver, j'ai commandé d'autres livres de ce Bernard, et celui du Joshua duquel il avait nommé sont bateau, d'autre livres de mer encore, mais aux auteurs moins remarquables et qui ont déserté ma mémoire. J'imagine que la graine germait doucement, sans même que j'en ai conscience.
Je suis retourné bosser sur cette île au printemps, et un cap a été franchis, avec le copain, nous sommes devenus les fiers propriétaires d'un Edel 5. Ne sachant pas son nom de baptême, nous l'appelons simplement 'l'Edel".

On ne bosse pas le mardi soir, donc quand le service de midi est terminé et que les collègues vont au bistro ce prendre leur cuite hebdomadaire, pour nous, la course est lancé, attraper nos matelas gonflables (oui, une annexe c'est trop cher et ça marche aussi bien) et marcher d'un pas soutenu vers la grève ou est amarré le rafiot, chaque expiration de cette marche est une occasion de remplir un peu plus nos "dinguy", qui sont presque gonflé une fois sur la cale.
Mon copain étant plus agile et athlétique, il ce glisse sur le matelas avec grâce, étant un gras du bide, ma technique est plus brutale: poser l'esquif sur l'eau et sauter à plat ventre dessus dans un grand splash. Nous pagayons avec les mains, sous les regards surpris et parfois les bravos des touristes.

L’apprentissage ce fait petit à petit, on comprend vite qu'il est possible d'aller très vite sur l'eau et de tout de même faire marche arrière, un atlas des courants et un peu de réflexion corrige ce problème.
Un jour où le vent souffle plus que d’accoutumé, la drisse de génois sort de son rea, le hors-bord ne voulant plus démarrer, et le courant nous poussant sur les cailloux, on finit par faire de grands signes a un bateau de pêche qui passe par la et qui nous prend en remorque direction au port le plus proche. Quelques cailloux autour de l'île verte ont pu gouter a la quille de ce brave edel, il a même finit posé sur les granit du fait d'un nœud d’amarrage foireux. Pour faire simple, les conneries s'enchaînent, chacune d'elles amenant sa leçon.

La saison est enfin terminée, vient le temps des projets d'hivers, le copain partira descendre le Danube en canoë, moi je ramènerais l'Edel dans ma région natale en remontant la Seine, puis la marne avec comme tout équipement nautique le guide routier Michelin qui me sert pour le stop, une boussole Decath et un sac de rations de survie, une sorte de porridge que l'on nomme en ricanant la "pate de robocop".
Ma première navigation en solitaire m'amène a mouiller a Erquy, ou j’achète le guide "de saint malo a dunkerque" avec la trogne de l'auteur et son collier de barbe d'inspecteur Bouchard en 4em de couverture. Me voilà en possession d'un document nautique ! Bouquin qui me servira bien quand je ferrais l'acquisition d'un "vrai" voilier, et que j'ai d’ailleurs toujours a bord.
Le lendemain passage du cap Frehel et je jette la pioche devant la cale de solidor a saint malo. Après une soirée resto/bistro, je récupère mon matelas planqué sous une poubelle, le gonfle et m'apprête à rejoindre mon bord quand la petite foule disparate de cette cale -pecheurs, promeneurs, et jeunes buvant du jus de houblon et fumant son cousin- m’empêchent unanimement de "prendre la mer" sur mon annexe, je doit négocier âprement et promettre de leur faire des signe avec ma frontale une fois a bord pour qu'on me laisse partir.
Je comprendrais mieux leur peur le lendemain quand une chasse de l'usine marémotrice me fait déraper sur 100m, j'aurais effectivement eu l'air fin sur mon matelas dans cette situation.

Ramener le rafiot dans la marne, enfin... Sur le papier, la réalité est tenace et le projet avorte assez tôt. Au "large" de Saint-Malo et en route pour Granville j'arrête de lutter contre les vents contraires et fait demis tour, la larme a l'œil devant cet échec, mais heureux de repartir vers mes plaines.
Les vagues, le vents, les Bretons, les étrilles, les araignées, les fars bretons (un vulgaire clafoutis aux pruneaux!), les kouign aman, les homards, le cris des goélands... Tout ça, j'en ai plein le cul ! Je rêve juste d'un bon vieux pâté en croûte et de l'odeur du chaume sous le soleil.
Le bateau finit a Dinan où il y restera un an sous l'œil d'un maître de port d'une rare gentillesse, qui a d’ailleurs "oublié" d'envoyer la facture.

Je le ramènerais sur l'île de départ l'été suivant, pour que le copain puisse en profiter, moi la restauration, j'en ai ma claque - vous ai-je précisé que les voileux sont souvent parmi les clients les plus odieux? Arrivant pied nus, veste de quart et lunettes de soleil, parlant fort et glissant de manière peu subtile qu'ils sont venus en bateau. Des héros au regard conquérant qui ont su dompter la mer ! Oui, je sais, j'exagère, être serveur, c’était vraiment pas mon truc je crois

Voilà comment un type nommé Bernard m'a poussé a la flotte comme tant d'autres avant moi.

09 déc. 2022

Super, bravo et merci

09 déc. 2022

tres belle prose ,chapeau l'artiste

10 déc. 2022

La suite, la suite !!

10 déc. 2022

Merci c'est très gentil, je n'avais plus écrit depuis mes 18ans ou apres avoir acheté un machine a écrire portable je me prenais pour Kerouac.

10 déc. 202210 déc. 2022

On veut tout savoir !
Comment on passe d'un Edel 5 à Un Caroff acier en hauturier !

l'île dont du parles, c'est Bréhat ?
J'ai écrit un long texte dans un des opus précédents, sur mes premières navigations entre Saint Malo et Bréhat, sur une vieux rafiot en contreplaqué. C'était du grand n'importe quoi ! Les courants et les marnages sont implacables.

12 déc. 2022

Changeons un peu de coin :

Nous étions mouillés depuis la veille à Mersa Halaïb, qui, selon les cartes, se trouve soit en territoire soudanais, soit en territoire égyptien. Cette partie du désert étant revendiquée par les deux pays.

C’est une belle baie sur la rive ouest de la mer rouge, bien protégée des forts vents du nord permanents le long de cette côte. La navigation, pour remonter cette mer n’est pas facile. Le vent violent et les fonds pas toujours bien cartographiées imposent de ne naviguer que le matin pour pouvoir rentrer à vue dans les marsas, sortes de rias pénétrants dans le désert. A partir de 14h, le soleil à l’ouest et la réverbération rendent la visibilité du corail très faible et donc, la navigation le long de la côte dangereuse.

Les voiles et le bateau souffrent, dans ces conditions. Près, vent fort, surtout que le matériel arrive là après généralement un tour du monde complet et des années d’usage.
J’avais profité du calme de cette baie pour aller en haut du mât, remettre une girouette, emportée par le vent du Bab el Mandeb et vérifier le haubanage et les drisses.

Les 3 filles et le chien étaient partis à terre avec l’annexe (la plus grande, à 11 ans maniait depuis plusieurs années le petit moteur avec dextérité).

J’étais donc en haut du mât quand une barque remplie de militaires armés de nombreux fusils et mitraillettes arriva du sud et nous aborda.

De tout là haut et n’entendis pas ce qui se disait, mais je vis ma femme leur montrer ma position et discuter peu de temps avant qu’ils ne redémarrent leur gros HB pour s’en aller.

A notre grand étonnement, au lieu de repartir vers là d’où ils venaient, les voilà qui foncent vers la plage ou nos trois filles et le chien jouaient.

Sans se concerter, on cria tous les deux. Il fallait absolument que notre grande fille remette la laisse au chien qui, nous le connaissions, allait faire son boulot de gardien, se positionner entre les filles et les intrus en montrant explicitement qu’approcher serait par lui considéré comme une attitude agressive à laquelle il répondrait par une attaque violente.
Ces militaires soudanais, musulmans, armés, n’allaient sûrement pas faire de détail et on voyait déjà notre berger allemand étendu en sang sur le sable.

Mais notre fille avait compris. Du haut de ses 11 ans, elle avait précipitamment rappelé le chien, embarqué ses deux sœurs dans l’annexe pour repartir avant même que les soldats n’aient atteint la plage.

Quand elle me ramena au niveau du pont, ma femme m’expliqua que ces homme ne voulaient pas parler à une « impure », mais uniquement « au capitaine » et avaient dit qu’ils repasseraient.

Dans la soirée, et une partie de la nuit, nous entendîmes tirer dans le désert.

Le lendemain, le vent violent nous avait fait rester une journée de plus et on ne les vit pas repasser. Aux informations du soir, sur RFI, on apprit qu’il y avait eu un accrochage entre une patrouille soudanaise et des militaire égyptiens, avec plusieurs soldats tués à Mersa Halaïb. là ou nous étions.

12 déc. 2022

Ton histoire m'en rappelle celle que j'ai écrite ici il y a longtemps et me fait froid dans le dos : "Le colonel K".
Des militaires dissidents, criminels de guerre et armés, tuant tout ce qui ne leur plait pas.
Heureusement, ils ont considéré que trois jeunes voileux français n'étaient pas à ajouter à leur tableau de chasse.

14 déc. 2022

vers 1996 nous rentrions d'un tour de la Corse en 1 mois ma femme, un couple de ses cousins et moi, mon Hood 38 et moi n'avions jamais connus plus de 40 nœuds de vent et j'avais 15 ans de nav derrière moi
A Bastia dernière escale avant le continent la météo du port annonçait " force 4 d'Ouest sur le trajet" ce que j'adore, cependant je n'étais pas sur... aussi proposais je à ces dames soit de traverser avec nous soit de prendre l'avion du soir avec après midi de clim. au cinéma .....
Nous remontâmes, le cousin et moi vers Macinnagio au moteur ou je refis le plein posant encore la question météo au port, au pompiste, à un pécheur qui tous m'assuraient que "tout sera bon" pourtant je n'avais pas pu avoir la météo du Cap Creux
On filait au près 7,5 nds et j'appelai la Giraglia, le sémaphore de la Marine qui n'avaient pas le renseignement puis au crépuscule je pris comme d'hab un ris dans la Voile
Vers 23 H 45 nous étions à 25 miles dans le sud de San Remo quand cela passa de 17 nds à 25 nds et 30 en rafales comme je voulais prendre un second ris le cousin me dit "cela se fait au matin....."
5 minutes après c'était 30 nds et40 dans les rafales vu que l'on tirait des des bords carrés je mis la bôme sur le pont et pris la fuite avec un bout du génois enroulé serré bordé des deux cotés
Ainsi à sec de toile le bateau filait à 6,5 nds, l'anémo. marquant en permanence 40-45 nds avec les haubans qui se mettent à siffler et lui qui se bloquait à plus de 69 nds.... tout allumé sur le mat, des creux 3 à 5 m on rattrapait la vague et engageait presque jusqu'au mat parfois vers 3 H une fusée VERTE brilla dans notre 30° le cousin proposa d'y aller mais je refusai craignant d'être roulés
Puis vers 6 heures en 2 minutes plus de vent mais une grosse mer durant 3 heures avant de pouvoir remettre le moteur et atterrir vers 11H à Alassio......
Lors d'un diner un mois plus tard je lui demandai s'il avait eu peur, il me répondit" tu étais calme, sur de toi, non...'
S'il avait su que toute la nuit bien que nous soyons brélés avec une double longe fixée au fond du cockpit sur deux demi anneaux je pensai "Que dirai je à sa femme s'il passe à l'eau"
Après j'ai toujours eu un peu peur que le vent monte, hélas maintenant j'ai 87 ans et plus de bateau ce que je regrette
si du vent d'W au cap creux en général 6 H après c'est sur notre route

14 déc. 2022
14 déc. 2022

la med est une mer délicate. Soit encalminé soit dans la baston. C'est pas toujours simple.

15 déc. 2022

Pour près de 15 AR Cannes -Calvi je n'ai réussi à en faire , totalement à la voile , un retour avec mon centurion 32 vers 1986 , zappant un jour de plus en Corse, mais un vent favorable..... , puis et un aller vers 2015 , là dans 25-30 nds au près , mais avec un HOOD 38 qui adorait ce genre de temps

15 déc. 202215 déc. 2022

L'histoire de Muttix me rappelle une sortie que nous avons fait un beau jour où il soufflait 40 noeuds, avec quelques rafales peut-être plus fortes. Nous étions bien protégé au port, mais je voulais savoir comment notre J/36 agirait sous de telles conditions. Le ciel était tout bleu, sans le moindre nuage, mais le vent soufflait fort, de l'ouest. Avec l'orientation de Long Island Sound, ça permettait la formation des vagues d'environ 1m70, assez rares pour nous. Sur le ponton nous avons rencontré un copain avec sa femme et sa gosse, et nous les avons invité à nous accompagner sur notre "essai".

Avant de quitter le mouillage nous avons décidé de ne pas utiliser le foc, et nous avons préparé la GV à hisser avec un ris déjà en place. Sortant du port, il n'y avait que des moutons partout sur l'étendue de la mer. Le bateau plongeait dans les creux pendant qu'on hissait la GV. Il fallait monter au près pour éviter les bancs de sable, alors on a fait un bord pour nous éloigner un peu de la côte. Au bout de dix minutes tout le monde était trempé par l'eau salée qui laissait partout, mais le bateau se tenait bien et avançait bien malgré la manque de foc. J'ai annoncé qu'on allait changer de cap pour aller vent arrière. Quel changement! Tout d'un coup au lieu de plonger, on commençait à surfer. La vague d'étrave dépassait la bôme avant d'être emparé par le vent. Sur le loch, la vitesse changeait en 10 sécondes de 5 noeuds à 12,5. Au bout de trois minutes la plage approchait vite et nous avons dû remonter au vent pour faire un autre tour. Puis on est rentré: c'est fatiguant, en fait, 40 noeuds. Après on a su que l'aéroport de LaGuardia, à New York, a été fermé à cause du vent. Une belle sortie pour nous, quand-même.

En bas: vent d'ouest bien moins fort

15 déc. 2022

PaulK, ton récit m'en fait remonter un en surface.
Saint Tropez en été, gros mistral, pas un bateau sur l'eau. Pas de vague ni clapot dans le golfe.
La sortie étant prévue, l'équipage était à bord de l'Aphrodite.
J'ai proposé au propriétaire de sortir, histoire de voir!
Il accepte. Préparation de la voilure : 2 ris et foc autovireur. Ainsi pas de manoeuvre à faire pour virer de bord autre que pousser la barre sous le vent car la têtière de GV passait sous les bastaques.
Vu le sourire de propriétaire au retour à quai, je pense qu'il a vraiment apprécié cette navigation dans des conditions inhabituelles.

15 déc. 2022

Un jour à Sal au Cap-Vert,j'entends à la BLU un type qui cherchait un bateau avec 5 enfants pour lui donner une notice d'instrument. Et il ajoute , la seule chose que je sais c'est que l'ainé est un garçon. Quelqu'un lui répond ,le bateau est au mouillage. Par contre l'ainée est une fille. Et la réponse arrive immédiatement : c'est forcément le même ,il ne peut pas y avoir deux cons pour partir avec 5 enfants. Et bien j'étais l'un des deux cons car il y en avait bien un autre même si sur l'autre les deux grands n'étaient là que pendant les vacances scolaires.
A Merida au Vénézuela , ma femme achète des cigarettes dans la rue et demande le prix qui est variable selon les vendeurs.Je trouve ça un peu cher et cherche un autre vendeur. A ce moment la ,le vendeur me fait une ristourne et j'ai mis à comprendre qu'il me répondait en français avec un fort accent suisse. C'était un ancien informaticien suisse qui a pété une durite ,tout abandonné et s'est retrouvé à vendre des clopes plus ou moins de contrebandes au Vénézuela.
A La Paz ,je commande toujours pour ma femme (putain de clopes) 50 paquets de cigarettes. Lorsque je viens les chercher le soir, la vendeuse avait compris 50 cartouches et pas 50 paquets et elle appelle la police .Elle me reprochait de ne pas acheter ce que j'avais commandé et la police d'en avoir commandé trop. J'ai failli me faire embarquer et je n'étais pas très fier.

15 déc. 2022

5 enfants, mazette! C'est vrai qu'on a rarement vu. La V'limeuse (www.vlimeuse.com[...]enu.htm ) en avaient 4, nous 3, les Damienz aussi...
Les journées devaient être actives😉

15 déc. 2022

Été 1998, bac de ma fille aînée, je loue à Saint Malo un first 33.5 et nous partons avec ma fille de 18 ans, son petit frère de 13, et 4 copains ou cousins des enfants, direction l’Irlande. Équipage sympa, seul adulte pour les gérer :-)
À Skull, nous mouillons assez loin de l’embarcadère, mais je dois trouver une pharmacie car mon fils a une angine qui nécessite des antibiotiques.
Parti avec l’annexe et l’aîné des neveux, contre ce putain de vent, et sans moteur autre que deux pagaies. Je n’ai jamais été si heureux que lorsque l’un des gamins du port qui jouait avec son annexe à moteur est venu nous proposer de nous remorquer. J’avais trouvé cela plus dur que la montée du Ventoux à vélo !
Pour le retour, avec le vent dans le dos, le bonheur
Pendant ce temps, les autres avaient réussi à bloquer la porte du four et sa sécurité pour me faire le plus génial gâteau d’anniversaire 🎂

15 déc. 202215 déc. 2022

On s'est donc croisé cet été là, figure toi Héol II !
Je suis aussi passé à Schull, mais pour m'enfiler des bières avec mon équipier.

Et un drôle de souvenir me revient en mémoire l'instant.

Dans un des pubs de Schull, Etienne et moi nous faisons brancher par deux allemandes de notre âge ( 25-28 ans). Elles sont "backpackeuses" et nous, jeunes loups de mer mal rasés, et probablement pas super propres !
Ca matche, surtout de leur côté, et elles insistent pour que nous les ramenions à bord, ce que nous acceptons. Nous ne sommes pas des monstres quand même. On a un cœur !

Nous fricotons gentiment, puis les ramenons en bons gentlemen sur la cale, en annexe.
Mais mon allemande s'accroche et tient absolument à ce que nous-nous revoyons tous les deux le lendemain. Elle me fait promettre de revenir la voir sur la cale au matin, alors que nous avions prévu avec Etienne de partir plus à l'Ouest.

Pas si mécontent de retrouver cette jolie blonde, je diffère un peu notre départ. Nous n'allons finalement pas loin. Crookhaven, juste à la sortie de la baie. Rien de presse donc.

Elle m'attend sur la cale et très directe, peut être à la façon germanique que je ne connais pas, me dit que je suis le mec qu'elle cherche, et me propose de me retrouver où et quand je le souhaite n'importe où en Europe, pour un test plus "approfondi".

Surpris car pas habitué, moi qui suis habituellement torturé par la timidité et le doute, la démarche me désarme complètement. J'accepte. Aucune raison de refuser ! Si ça se trouve, cette jeune allemande parlant parfaitement le français et l'anglais est aussi la nana que je (ne) cherche (pas).
Je lui donne donc mon adresse portuaire. Le bassin Vauban à Saint Malo. Je n'ai à cette époque aucune adresse fixe et pas de téléphone portable. Je loge à bord où dans l'internat du bahut où j'enseigne.

Sur cette promesse de retrouvailles à Saint Malo, nous-nous quittons avec un baisé fort agréable.
Nous dérapons de suite et... j'oublie complètement cette jolie fille.

Avec le recul, j'en suis moi même étonné. Mais à l'époque, je suis fort peu intéressé par la sensualité. C'est ma période "brut de pomme", comme disait une collègue de maths navigatrice et déjà tourdumondiste. Je ne rêve que de prendre de l'eau glacée plein la gueule en voilier, été comme hiver.

Ca a duré presque 10 ans cette obsession du mauvais temps, des caillasses contournées au vent beaucoup trop près par mer forte, et les rentrées sous voiles à fond la caisse dans des ports déserts de Bretagne en hiver.

A ce propos, petite disgression. Catherine, cette collègue de maths qui avait l'âge d'être ma mère, est la seule personne qui m'ait jamais prêté un voilier de voyage, pour que j'aille faire le con seul en hiver dans le Golfe de Gascogne. Fallait oser, quand même, de prêter son voilier à un branleur de 27 ans sans compétences particulières, autres que la peur de rien en bateau. Son voilier était un Jurançon tout neuf, équipé grand Sud. Elle me filait les clés du bateau le vendredi après midi au lycée, et je lui rendais le lundi matin. Merci Catherine.

Je reviens à mon histoire. Aux premières vacances scolaires, celles d'automne, je sors du port de Saint Malo dès le vendredi soir, direction les Scilly. Et j'en reviens le dimanche, deux semaines plus tard. La bagnole est toujours sur le quai. J'ai juste à prendre une douche aux sanitaires de la marina, puis à sauter dans la voiture pour rejoindre mon internat à Laval, où je jetterai un œil aux cours que je devrai faire lundi matin.

En sortant des douches, Erwann, le jeune responsable du port me choppe et me tend un courrier.
Un courrier ? Qui l'a déposé ? Pendant que j'ouvre, Erwann me raconte qu'une jeune allemande est arrivée le lendemain de mon départ et m'a demandé.
Erwann me connait assez bien pour savoir que je ne remettrai pas les bottes à Saint Malo avant deux semaines, mais n'ose pas l'affirmer à la fille venue spécialement d'Allemagne pour tenter de me retrouver.
Alors, elle est venue tous les jours au bureau du port pendant presque une semaine avant de perdre espoir et de laisser cette lettre m'enjoignant à la contacter en Allemagne.

Je crois que j'ai été assez con et fier pour en rire stupidement et mettre la lettre à la poubelle en sortant du bureau du port...
En tout cas, c'est la première fois que je repense à cette histoire depuis 25 ans.
Tout d'un coup ce soir, imprégné de whisky, j'ai un peu honte et je regrette !

15 déc. 2022

Oh la pauvre!! C'est scandaleux.

15 déc. 2022

FVLS35, tu étais quand en Irlande ? Nous y étions en juillet, après les épreuves du bac
C’est sans doute pas le seul lieu où nous nous croisâmes 🤣

15 déc. 2022

Tous les étés mon pote, de 1995 à 2000.
Te dire où et quand précisément, faudrait se replonger dans les livres de bord.

16 déc. 2022

Erwann est-il celui toujours en fonction au bassin Vauban?

16 déc. 2022

Oui Polmar.

15 déc. 2022

Moque toi, grand père !
Je suis rongé par le regret... et ma bouteille est vide !

15 déc. 202215 déc. 2022

Pour l'histoire de Paul K
Cette année là on avait "loué" le sélection du club pour l'EDHEC à une assoce de filles de l'université de médecine de Lyon.
J'ai donc vu arriver aux Sables 6 belles jeunes filles dans les 22 ans dont je serai pour 1 semaine le skipper (et chef tout puissant😁).
Dès les inscriptions, les licences, et toute l'administration, on fut très entourés. La première soirée festive le fût aussi, mais comme la première régate était le lendemain, je tentais de garder mon harem présent et apte à la navigation.
Le matin, un bon vent de NE s'était installé. Il faisait un peu frais, mais toutes dans leurs combinaisons roses faites spécialement saluaient avec fierté tous les envieux perchés sur les moles d'entrée du port.
Juste derrière la digue, on monta la GV et partîmes plein vent arrière vers la ligne située 3 ou 4 milles au large;
Plus on avançait, plus on s'éloignait de la côte, plus le clapot enflait.
En arrivant à la ligne, d'un coup de barre doux, je remontais au travers.
Des 6 gorges sortit le même cri.
Aucune des 6 n'était jamais montée ailleurs que sur un hobie cat sur le lac de Miribel. La gite, elles ne connaissaient pas.
De la semaine, on n'a jamais mit le spi. On a navigué avec ris et solent.
On ne gagna pas. Mais on fut pourtant le bateau le plus choyé, le plus acclamé et le plus visité.

16 déc. 202216 déc. 2022

Ce ne sont pas les médecins qui font les visites, normalement ?
Tu ne t’es pas senti un peu faiblard, pour te faire examiner ?

Puisque nous somme dans la légèreté, j’y vais encore de ma petite histoire frivole, en veillant naturellement à rester dans la bienséance, sur ce site d’une si irréprochable tenue et accessible aux oreilles chastes.
Je ne vais pas me la jouer Charles Bukowski en docksides ! Je suis un garçon sage, ou presque.

J’ai naturellement embarqué quelques demoiselles pour de courtes périodes d’essai, ne souhaitant pas à l’époque gâcher deux semaines de navigation ou même un été. Enfin, c’est comme cela que je voyais les choses.

A tout juste 25 ans, alors que je termine mes études par une année de stage professionnel à Dinan, jolie ville médiévale en haut de la Rance, je rencontre lors d'une soirée une jeune femme de mon âge, aux splendides yeux bleus et aux cheveux roux. Nous l’appellerons Isabelle. Je rêve à cette époque de m’établir en Irlande et de rencontrer l’Irlandaise en photo sur les affiches publicitaires vantant le tourisme en république d’Eire. C’est elle, tout pareil ! (Histoire « 72 heures en Irlande » qui a eu lieu deux ans plus tard et raconte mes espoirs déçus. Fil 4).

Mon sang se met à bouillir lorsqu’elle me demande si nous-nous connaissons. Car effectivement, nous-nous sommes fréquentés il y a bien 15 ans, à l’école primaire où nous avons partagé les mêmes bancs. Par ailleurs, il nous revient en mémoire que nos parents respectifs sont collègues et copains. Le plus drôle, c’est qu’ils le sont encore et habitent à quelques pâtés de maisons les uns des autres.

Quelle meilleure accroche pour faire plus ample connaissance ? Pas habitué à ce qu’on s’intéresse tant à moi, je réponds à son flot continue de questions en parlant de ma passion pour la navigation à voile, qu’elle partage et de mon futur métier, le même que le sien ! Cela fait bien trop de points communs en plus de l’attirance mutuelle pour que nos routes ne se joignent pas.

Alors, dès que possible, j’embarque Isabelle pour un weekend à Chausey par beau temps sur mon petit Start 7 Mallard. Celui avec lequel je rentre tout juste d’Irlande après avoir failli perdre la quille dans le canal Saint George, après la rencontre avec un sous marin (Les oreilles d’or, fil 4 ou 5).

Le temps est au beau fixe en cette fin de saison bretonne, Le bateau glisse doucement et en silence sur une mer calme. La traversée de quelques heures nous invite donc à des activités pour lesquels le cockpit et le roof ne sont pas en principe prévus. Cela fonctionne néanmoins très bien. Seul témoin, un moineau qui s’est agrippé à une couture de la grand voile, au dessus nos têtes. La scène est charmante.

Jusque là, tout se passe pour le mieux, jusqu’à ce que dans un moment de pose, Isabelle sorte un paquet de cigarette de son sac et en allume une dans l’habitacle. Mon sang se fige, cette fois-ci. N’a-t-elle pas conscience qu’on ne fume pas davantage dans un bateau que dans la voiture d’un ami sans demander la permission ?

Le problème ne s’arrête pas à ces bonnes manières. Je suis physiologiquement allergique au tabac, dont la fumée me démange furieusement les yeux et la gorge mais surtout, provoque un réflexe désagréable de blocage de la respiration. Il me faut alors forcer ma poitrine à s’expanser, pour respirer avec difficulté. Des dizaines d’années plus tard, l’irritation allergique et le réflexe n’ont pas changé. Je ne peux tenir que quelques dizaines de secondes dans un lieu enfumé avant d’en sortir.

J’en fais pars immédiatement à Isabelle, dont j’imagine qu’à mon air décomposée et à ma toux, elle va éteindre sa clope. Et bien non, elle me répond avec le sourire : « qui aime bien châtie bien » et termine tranquillement sa cigarette à l’intérieur du bateau. J’en suis ulcéré, et prends une décision immédiate qui va sceller l’avenir de notre relation. Je fais demi-tour vers Saint Malo.

S’ensuit évidemment un échange houleux et la demoiselle s’enferme à l’intérieur, que je ne peux de toute façon pas rejoindre sans devoir bloquer ma respiration et plisser les yeux. Arrivé au Môle des Noires, à l’entrée du port, je lance à la volée le moteur et un commentaire laconique : « tu as 2 minutes pour préparer tes affaires ».

Je me dirige vers la cale de Dinan, dans l’avant port. Il est marée basse et une navette s’apprête à quitter le bas de la cale. Isabelle sort sa tête par la descente pour la première fois depuis deux heures, et comprend enfin mes intensions. J’ai juste placé deux pare battages. Même pas les haussières.
J’arrive à vitesse élevée, colle le bordé à la cale d’un grand coup de marche arrière et ordonne à Isabelle : « tu débarques ».

Ma passagère éphémère est médusée. Visiblement, elle imaginait une brouille passagère qui se serait calmée une fois au port. Et bien non. Comme elle tarde à bouger, je choppe son sac et le lance sur la cale, glissante au bas de l’eau. Pour ne pas qu’il finisse à l’eau de l’autre côté, Isabelle saute à sa poursuite sur le quai. Elle a un moment d’hébètement, ne sachant comment réagir alors que j’ai déjà remis les gaz à fond. Son esprit revenu, elle me lance une bordée d’insultes dont le vacarme du vieux hors bord deux temps étouffe les derniers mots.

Je crois avoir néanmoins compris que je n’étais pas à la hauteur de ses espérances.
Finalement, une fois l’intérieur du bateau lessivé et redevenu respirable, j’ai passé un merveilleux weekend, totalement détendu, avec cette sensation indéfinissable de satisfaction, d’avoir échappé au pire !

23 déc. 2022

Je te trouve particulièrement intransigeant. Ne dit-on pas : "femme qui avale la fumée est à moitié pardonnée ?" ;-)

22 déc. 202222 déc. 2022

C'est encore moi, avec un pseudo raccourci (ex FVLS35). Si vous-vous lassez, faites-le moi savoir (en y mettant les formes, je suis un grand sensible !).

Le fil sur la santé en voyage me remet en mémoire une petite affaire médicale assez cocasse, à propos de laquelle les esprits mal tournés verront une relation avec mes deux histoires précédentes !

Je vous assure que non. J’ai une vertu de la plus haute tenue, toute aussi rigoureusement droite, inflexible et imperturbablement rectiligne que l’est la trajectoire de la lumière… à moins que quelque « masse attractive » ne la dévie vers elle, en même temps qu’elle distord la perception du temps et des distances qu’il conviendrait de respecter.

Vous admettrez donc que face à de telles forces stellaires, telluriques et universelles, pas davantage que la lumière dont je ne peux prétendre effleurer l’infinie pureté, je ne puisse être en mesure de maintenir ma trajectoire directe et imperturbable, sans être contraint par cette interaction oh combien supérieure à ma petite volonté humaine, d’éclaircir un peu du mystère de cette matière qui m’attire, en allant y voir de plus près.

J’ai à cette lointaine époque rénové un H-boat 35 du chantier Artekno, arrivé par miracle malgré son état d’épave jusqu’à la barrière de Mayotte, où il s’était proprement encastré. J’ai raconté cette aventure improbable dans le fil vos histoires de mer : « Une courte histoire du Lord Jim ».

L’acheteur de cette épave flottante à un vieux fou en état de délire quasi permanent, est un jeune collègue français, pas plus marin ni bricoleur que je ne suis lumineux ou pourquoi pas astronaute. Tout juste a-t-il, après deux ou trois ans d’études abandonnées dans une école de la marine marchande, les bases théoriques de navigation qui doivent valoir mes bases de physique sur la satellisation des corps et les lois de la relativité générale qui modélisent la déformation de l'espace temps, et par là même la trajectoire de la lumière aux abords des astres massifs. Ses années d'études ne font pas davantage de lui un marin, que je ne suis astronaute.

Ce garçon à une autre caractéristique. Il est totalement paumé et dépressif. Sa présence à Mayotte est une fuite, qui ne l’a mené nulle part. Appelons-le François. Il achète donc l’épave et ne sait pas quoi en faire. Alors je rénove seul le voilier, et nous convenons d’en partager l’usage à 50 %.

Juillet arrive, et ses deux mois de vacances scolaires. Nous partons donc à deux de Mayotte vers Madagascar, distance d’environ 36 heures de mer, à bord du Lord Jim. François refuse de participer à l’avitaillement, me faisant « une totale confiance », et me promettant « qu’il me remboursera bientôt ».

Après quelques heures de mer, il devient évident que la cohabitation à bord sera impossible pendant sept semaines. François ne quitte pratiquement jamais sa couchette, fume cigarette sur cigarette, ce qui m’interdit l’accès à la cabine en raison d’une allergie au tabac, et refuse de se nourrir des repas chauds et complets que je prépare. Il entame largement la réserve de biscuits et de chocolat.

Une fois effectuées les formalités d’entrée sur l’île de Nosy Be, une discussion houleuse s’installe entre nous. Nous avions prévu un programme de 6 semaines d’exploration à la voile des côtes Nord Ouest de Madagascar, magnifiques et quasiment désertes au-delà cap Saint Sébastien. Or pour François, il n’est plus question de cela. Il veut « explorer les charmes de la ville » une ou deux semaines, avant de mettre cap au Nord.

Bref, passer la première partie de la nuit en boite, entouré de « filles » (telles sont appelées pudiquement les prostituées à Madagascar), la deuxième partie de la nuit à bord avec l’une d’elles, et la journée à somnoler au fond de la couchette, en terminant la réserve de biscuits et de chocolat.

Je ne rechigne pas à ce genre d’exploration des charmes de l’île, bien au contraire, mais j’en ai une autre en tête à ce moment précis du début des vacances, avec les vents favorables de Sud qui soufflent gentiment. Mettre cap au Nord, vers les rias et lagons déserts du Babaomby (la terre des zébus) péninsule presque déserte à l’extrémité de la grande île de Madagascar.

Alors je propose à François de scinder les vacances en deux. Il garde le bateau les trois premières semaines, je le prends les trois suivantes, puis nous rentrons à deux vers Mayotte la dernière semaine des vacances. L’échange du bateau se fera à Ampasindava, un gros village de pêcheurs situé à l’entrée Sud de la baie des courriers, tout proche de la ville de Diego Suarez.

Je ne vais pas ici raconter la navigation effectuée par François ni la mienne, mais m’en tenir à l’aspect médical de ce voyage. Je quitte le bord, et pars explorer le Nord de Madagascar par les pistes avec une petite moto louée à un ami. Mais trois semaines plus tard, alors que j’attends à Diego Suarez, pas de trace de François. Une semaine plus tard, toujours rien, alors je m’inquiète et je réserve une place dans un taxi brousse qui part le lendemain pour Ankify, l’embarcadère de Nosy Be, à une grosse demi journée de route.

Il suffisait de cela pour que François apparaisse devant mon hôtel sur un vieux vélo de ville aux pneus crevés, qu’il pousse devant lui. Il est très amaigri, livide et brulant de fièvre. Je m’inquiète autant du sort du bateau que de François lui-même, car nos relations sont très dégradées, et j’ai peu d’empathie pour lui. Dans quel merdier est-il allé se fourrer pour arriver en vélo plutôt qu’en bateau ? Et dans cet état lamentable.

A ses quelques mots de réponse, je comprends ce qu’il en est. Version des faits qui me sera d’ailleurs confirmée plus tard par un gardien d’annexe du port d’Hell-ville à Nosy Be. Après mon départ, François a sombré dans l’excès d’alcool et de tabac, sans s’alimenter convenablement. Sorti à la recherche de plaisirs charnels les deux ou trois premières nuits, il en a été ensuite physiquement incapable et est resté à son bord au mouillage, vider l’énorme stock de bière et de cartouches de tabacs qu’il s’était fait livrer le premier jour. Son état de santé s’est rapidement dégradé et une légère fièvre est apparue, qui s’est accentuée de jour en jour, sans que François ne se soigne et ne sorte du bateau. Quinze jours plus tard, c’est avec 40 degrés de fièvre, une infection et une rétention urinaire de plus de 24 heures qu’il a trouvé la force de s’extraire de sa couchette et d’aller demander du secours à terre en s’embarquant dans la plate à demi remplie d’eau par les pluies nocturnes.

Fort heureusement pour François, ce type d’infection ainsi que les rétentions urinaires sont simples à gérer, et l’hôpital-mouroir où il s’est fait conduire en taxi a les compétences, pourvu qu’on paye cash à l'avance et qu’on arrive avec les médicaments et le matériel médical nécessaire, pour régler ce genre de souci. Il faut donc passer une première fois à l’hôpital, faire la queue longtemps, payer à la caisse avant d’espérer voir un médecin. Puis ressortir de l’hôpital avec un bout de papier où est griffonné le nécessaire et reprendre un taxi pour aller jusqu’à la pharmacie, qu’on espère ouverte et surtout pourvue. Enfin, on revient à l’hôpital et on refait la queue avant d’être pris en charge. Ce fut le cas, mais le pauvre a dû souffrir de sa rétention urinaire.

Malgré ce relatif succès médical, faute de faire les analyses sanguines nécessaires pour déterminer jusqu’où s’étendait l’infection, la fièvre est restée. François a donc parcouru les 100 milles à la voile jusqu’à Ampasindava en quatre jours, avec une sonde urinaire accrochée au ventre et une fièvre de cheval, arrivant une semaine après la date prévue.

Incapable de faire une nav convenable au-delà du cap Saint Sébastien, il a raté le village de pêcheurs et est allé s’envaser au plus profond de la grande baie des courriers, dans un endroit improbable et mal abrité. Abandonnant la plate au ressac du rivage sans même essayer de la tirer hors de l’eau, il s'est mis à marcher au hasard d'un chemin, avant de trouver un hameau où demander sa route et négocier le prêt d’un vélo aux pneus dégonflés, qu’il n’a pu que pousser à pied sur presque 25 kilomètres pour rejoindre Diego Suarez.

Je passe comme je l’avais dit, sur ma navigation retour vers Nosy Be. Arrivé quelques jours avant le retour supposé de François en taxi brousse, je dévie évidemment de ma ligne de conduite bien droite, comme l’aurait fait la lumière. Pas d’alcool ni de tabac pour moi, et une alimentation saine. Par contre, une bonne vieille chaude pisse, oui ! La première fille était la bonne.

Dès l’apparition des symptômes, très supportables, je saute dans un taxi et me fait conduire chez le premier médecin qui pourra me recevoir. Je fais confiance au taximan qui m’amène jusqu’à une case de bois où, suspendue au plafond d’une varangue déglinguée, trône une pancarte en bois. Si j’en crois ce qui y est écrit, il exerce dans cette case un des plus grands pontes mondiaux de la médecine, bardé de diplômes et de références.

Je suis immédiatement reçu, dans un bureau qui fait toute la surface de la cabane. Personne d’autre n’attend chez cette sommité. Je connais les habitudes et les lacunes de la médecine malgache, dictées par la coutume et les tabous, insurmontables. Ici, on ne touche pas les patients. On n’examine pas. On laisse parler puis on rédige une ordonnance, avec les erreurs de diagnostique et le succès thérapeutique qu’on sait.

Je précise que ici comme ailleurs, la médecine est à deux vitesses. Il y a les médecins pour les riches, ayant souvent fait tout ou partie de leurs études en dehors de Madagascar et les autres, formés dans les facultés de l’île, ou du moins ce qu’il en reste. Je nuance mes propos, pour éviter de probables insultes stériles et nulles et non avenues en MP. Il existe bien sûr d’excellents médecins formés à Madagascar. Notre praticien familial à Tananarive depuis 15 ans est l’un deux, que nous n’échangerions contre aucun autre. Mais ceux-ci exercent dans les grandes villes, où la patientèle a les moyens de payer. Pas dans une cabane déglinguée au bord d’un chemin boueux.
Encore qu’il puisse y avoir des exceptions, mais ce médecin de Nosy Be n’en était pas une !

Alors j’explique. Je décris précisément mes symptômes, et je conclus en réclamant le duo d’antibiotiques adaptés. Le patricien, sans bouger de sa chaine ni me regarder se tord le nez, se gratte longuement le menton, puis prend la pose : « je pense que ce n’est pas cela, que vous avez ». « Ce sont des calcul rénaux. Il faut vous opérer ».
J’aurais pouffé de rire, si je n’avais de respect pour la profession et de façon générale pour tout le monde, sauf pour les cons. Mais ça, je ne le sais pas encore. Alors j’argumente : « Mais je n’ai aucun des symptômes des calculs rénaux ! ». J’ajoute : « l’écoulement infectieux à l’urètre ne peut être qu’une IST, 48 heures après une relation non protégée ».

Re-torsion du nez, mais plus probablement de contrariété cette fois-ci. Alors, sans un mot, mon médecin baisse la tête, sort doucement du tiroir de son bureau l’épais Vidal, et commence à le feuilleter, doucement, très doucement.
Probablement dix minutes s’écoulent, sans que ni lui ni moi ne disions mot. Finalement agacé, je craque et lui demande ce qu’il cherche. Il ne s’agit que d’une simple chaude pisse pour laquelle la pharmacie a les génériques subventionnés adaptés. On ne va pas y passer la journée.

J’ai sa réponse après un temps infini : « Vous êtes étranger dans ce pays. Vous n’avez pas le droit aux médicaments subventionnés pour les malgaches. Je cherche donc les noms commerciaux de princeps que vous allez acheter. Vous les commanderez et les aurez d’ici trois semaines».

Là j’ai la réponse que je n’avais pas encore quinze minutes auparavant ! Je craque face la connerie monumentale que vient de me sortir ce charlot et je quitte son bureau, non sans lui avoir payé la consultation, soit 30 francs français de l’époque. Une fortune, pour les malgaches de Nosy Be.

Je file droit à la pharmacie de la ville et explique mes misères au pharmacien, qui part dans un rire sonore, sincère et sans moquerie : « Bienvenue à Madagascar, Wazaha ! Ne vous inquiétez pas, je vous donne le générique adapté. Dans 48 heures, les symptômes auront disparu. Terminez néanmoins la boite. Ca vous fera 5 francs ».

Voila comment j’ai pris ma première leçon de patient à Madagascar. Il est souvent préférable de s’adresser directement à un pharmacien, plutôt qu’à un médecin. Ce constat se répètera de nombreuses fois, y compris cette semaine, avec une simple conjonctivite…

23 déc. 2022

Bon, ton histoire m'a un peu parlé...

;-)

C'était il y a très longtemps, dans le même pays, mais moi je suis "tombé" au hasard sur une femme médecin à la fois très sympathique et pleine d'humour, et surtout très compétente !

Je lui en suis encore reconnaissant !

23 déc. 2022

Oh, j'ai aussi rencontré à Madagascar une étudiante en doctorat très sympathique et compétente.
Elle est la mère de deux très beaux enfants métis dont je ne doute nullement d'être le père !

23 déc. 2022

Une question; se souvient on plus des "désagréments" (le mot est faible) ou des "moments agréables" qui ont causé les "désagréments" ???

;-)

22 déc. 2022

Merci encore pour ce nouveau récit, qui amène bien sur une suite, la recherche du voilier, et le retour avec un second si... heu... Parti, quoi !?

22 déc. 202222 déc. 2022

Merci Arzak.

Le retour, je l'ai fait avec une vedette de la ligne régulière entre les Comores et Madagascar.
Je l'admets, ça vaut bien une histoire, rien que la traversée sur cette vieille vedette ukrainienne de la seconde guerre mondiale en acier riveté, à l'état de spectre rouillé.

Un poème, cette traversée, et la peur au ventre pendant 24 heures, de mourir noyé ou bouffé par un requin, comme le furent des centaines de passagers sur cette ligne.

J'ai donc planté François après l'avoir retrouvé dans un état de délabrement qui a fini de m'ôter toute forme d'empathie.
Il a embauché un marin professionnel, ce qui lui a finalement coûté le prix de l'avitaillement qu'il ne m'a jamais remboursé.

22 déc. 2022

Mais... pourquoi il t'aurait remboursé pour l'avitaillement, puisqu'il n'a rien mangé, sauf pour les biscuits et le chocolat?

22 déc. 2022

La première fois que je suis allé en Afrique avec mon petit Shellfish (Conakry, je raconterai ça un de ces jours), les seuls médocs que j'avais à bord étaient des antibios contre ce type de problèmes. Je n'ai même pas eu à m'en servir.

22 déc. 2022

Ca veut dire que vu le taux de contamination et la contagiosité du truc, tu as été chaste !
Bravo à toi !

22 déc. 2022

Oui, enfin, une fois j'ai fait l'erreur de repasser au même endroit 10 mois après😏.

23 déc. 2022

Dois-je en déduire que le bébé qu'on t'a présenté avait un mois ? 🤣

24 déc. 2022
22 déc. 2022

L'histoire de VL35 et les médecins malgaches me rappel une épisode chez nous il y a bien longtemps. Mon père était pédiatre, et se trouvait souvent cherché comme équipier pour les courses et croisières. La régate Newport-Bermudes arrivait, et il avait accepté de le faire sur le bateau d'un ami quand un autre l'a appelé pour les suggestions médicales pour le trajet. "Viens chez nous, je pourrai te montrer." il a dû dire. Quand le monsieur est arrivé ils se sont installés dans le salon, et ils ont discuté pendant pas mal de temps. Comment gérer le mal de mer... les commotions cérébrales (au cas où)... et aussi les blessures. Nous, les fils, étaient volontaires pour avoir les "bras cassés", ou les doigts éclissés, et les autres pansements. Ensuite mon père a demandé à un de nous d'aller chercher du poulet cru dans la frigo. L'ayant reçu, il a pris son scalpel et l'a donné une bonne coupure de quatre ou cinq cm, bien profonde, dans la cuisse. "Il faut d'abord arrêter l'écoulement du sang avec de la pression." "Après ça, il faut coudre pour fermer la plaie." Il nous a montré la technique pour insérer l'aiguille et puis le tirer avec les pinces, et comment serrer le tout avec un petit noeud. Quatre ou cinq petits points, et c'était le tour de son ami, sur l'autre cuisse. Evidemment beaucoup plus "touchant" que chez les malgaches. Heureusement ces leçons n'ont pas été mis en oeuvre pendant la régate.

23 déc. 202223 déc. 2022

Trouvez-moi un éditeur, bordel ! J'écris dix pages par jour !
C'est que chacune des quelques questions qui suivent mes textes me rappelle un souvenir.
Et puis, en congés loin du bateau que je ne rejoins que dimanche, j'ai du temps.
Après, oubliez-moi. Je serai à bord plusieurs semaines. Ouf...

Un ticket pour la mort

Au début des années 2000, alors que la crise politique fratricide à Madagascar a tout juste cessé, les vols réguliers vers la grande île de l’océan indien reprennent. Mais les compagnies aériennes se livrent une guéguerre de monopole, ainsi les vols sont rares et hors de prix. Cette guerre qui implique les états et de juteux intérêts financiers n’a pas cessé 20 ans plus tard. Madagascar est toujours mal desservie.

Comme je ne dispose plus du voilier de François, ma contribution à son maintient à flot ayant pris fin au dernier voyage, je n’ai d’autre choix que d’emprunter la ligne maritime commerciale entre les Comores et Madagascar, pour rejoindre l’île rouge depuis Mayotte. Curieusement, il n’y a pas de compagnie maritime française.

Les compagnies comoriennes qui font la navette entres les différents îles des Comores, Nosy Be et le grand port de Mahajanga à Madagascar, disposent de très vieux bateaux d’une trentaine de mètres, en bois ou en acier.
Le prix du voyage aller-retour est très raisonnable. De l’ordre de 50 euros, pour 24 heures de voyage en tout. Mais…

Les différentes lignes qui relient Madagascar aux îles environnantes, à l’exception de la Réunion, ont une réputation terrifiante et justifiée. Le nombre de naufrages est effroyable. Pas une année sans que plusieurs bateaux ne sombrent au large ou ne chavirent roulés par les lames des entrées de fleuves, faisant un macabre décompte de plusieurs dizaines à centaines de victimes noyées, sans qu’aucun secours ne puisse être mis en œuvre, faute de moyens matériels et financiers.

Le 7 mars 2004, ce sont pas moins de 110 victimes noyées pendant le cyclone Gafilo, que fera le naufrage de la vieille vedette SamSon, construite au Danemark en 1965. Elle reliait la Grande Comore à Mahajanga. Que faisait ce bateau en pleine mer dans le canal de Mozambique alors que la venue du cyclone de très forte intensité était annoncée depuis plusieurs jours, et sa trajectoire prévue ? Deux survivants ayant réussi à monter dans un radeau de sauvetage (il y en a eu trois en tout) expliqueront plus tard que face à la mer énorme, le commandant et son équipage ont choisi de remettre leur vie entre les mains de dieu et ont sorti les tapis de prière, abandonnant le navire travers au vagues…

A l’époque de mes premiers voyages, ce terrible accident n’a pas encore eu lieu mais il y en a déjà eu de nombreux autres, moins meurtriers quoi que tout aussi dramatiques pour les familles endeuillées, particulièrement sur la côte Est de Madagascar proche de l’île Sainte Marie.

Lors de mon tout premier voyage par ces lignes régulières, je découvre donc le bateau avec une pointe d’appréhension. J’ai la bonne surprise de découvrir un navire aux qualités marines éprouvées, puis qu’il s’agit d’une ancienne vedette de douanes ou de police, en bois moulé. Est-elle pourrie ? Je n’en sais rien mais du moins, le moteur tourne convenablement et elle n’est pas surchargée, même si les cinquante passagers sont assis sur des sièges de type bus routier fixés sur le pont, protégés par une cabine en bois vitrée qui ne satisfait pas aux normes de sécurité les plus élémentaires.

Encouragé par ce premier voyage satisfaisant et n’ayant de toute façon pas le choix, je voyage de la même manière la fois suivante. Mais cette fois-ci, le bateau qui se présente sur le port de Dzaoudzi à Mayotte n’est pas la vedette de police que j’appelais de mes vœux. C’est une « chose » en acier riveté, plate et très basse sur l’eau, surmontée d’énormes superstructures en acier, sans aucune ouverture sur les côtés. Juste une porte donnant sur un petit pont de quelques mètres carrés à l’arrière. Renseignements pris, il s’agit d’une vedette fluviale ukrainienne ayant au moins 70 ans, voir davantage. Ce bateau fluvial qui naviguait sur le Danube était à l’époque une vedette touristique équipée de bancs en bois sur le pont, protégés par une simple tente. Réformée, elle est arrivée aux Comores dans les années 80 et a été remotorisée en même temps que de lourdes superstructures ont été soudées aux bordés.

Le bateau inspire peu confiance, et nous sommes cette fois-ci une bonne centaine de passagers. Mais surtout, ce bateau transporte un fret conséquent. La plupart des passagers sont des commerçants mahorais et comoriens, qui vont vendre leurs produits à Madagascar. Où prendront place ces tonnes de denrées alimentaires ? Je me le demande. La cale est très peu profonde. Le bateau ne doit pas caler plus d'un mètre.

Après vérification des passeports et des billets, on nous fait attendre sur un grand terre-plein poussiéreux. Aucun bâtiment ne permet de se protéger du soleil, qui commence à frapper fort dès 9 heures du matin. Ca s’agite autour du bateau amarré à quai, dont les surcouches de peinture noire peinent à masquer les pustules de rouille. Les heures passent. Midi arrive, alors que le départ était prévu pour 10 heures. Les passagers s’impatientent et on tente de se renseigner auprès des hommes d’équipages qui montent et descendent du bord. Les moteurs ne démarrent pas. C’est un problème électrique qu’on nous promet de régler dans l’heure.

L’heure passe, puis deux, puis trois autres et toujours rien, jusqu’à ce qu’une camionnette arrive en fin d’après midi et qu’on voit les hommes équipage sortir des cales avec difficulté les grosses batteries de démarrage. C’est mauvais signe. Un passager français qui attend avec sa femme et deux jeunes enfants qui chouinent à juste titre, s’impatiente. Il se présente au commandant de bord et décline sa profession. Il est électricien de marine de métier et obtient la permission de descendre dans la cale moteur. Il en ressort 20 minutes plus tard et lâche un commentaire laconique au passagers français venus à sa rencontre : « montez dans ce truc si vous voulez mais moi, j’annule mes vacances ». Ca m'afflige en belle piqûre de stress, alors je l'aborde et il m'explique en récupérant les valises de sa famille, que le montage électrique de puissance et de commande du moteur et une totale aberration, et qu’il est impossible que cela fonctionne ou que s’ils tentent de redémarrer après les bricolages effectués, ça va prendre feu.

Rénovant des bateaux depuis deux ans à Madagascar, y compris des circuits électriques, je ne suis qu’à moitié surpris. Certes, les marins comoriens sont très débrouillards, mais leurs notions théoriques s’arrêtent à leur illettrisme fréquent, et toute notion de norme de sécurité du montage électrique sur un navire à passagers leur est étrangère. Un précédent début d’incendie à bord de la vedette a d’ailleurs détruit le circuit de charge des batteries, que deux ou trois démarrages ont vidé sans que personne à bord ne s’en inquiète.

On nous annonce qu’il faut amener les batteries à l’atelier pour les charger une douzaine d’heures, et que le départ est reporté de 24 heures. J’en suis finalement soulagé. Je n’ai plus d’eau, je suis trempé de sœur et couvert de la poussière du terre-plein. Je prends donc un taxi, puis la barge qui me ramène à grande Terre, et récupère ma voiture. J’habite à 30 minutes de route. Je serai à la maison à la nuit tombante.

De retour sur le terre-plein à 9 heures du matin, après avoir pris la météo qui annonce une mer belle sur le canal du Mozambique pour les prochaines 48 heures, je suis accueilli par un bruit infernal. Un puissant groupe électrogène de chantier, non insonorisé, trône au milieu du petit pontage arrière. Il en prend presque tout l’espace, et est ficelé aux quatre coins par de la corde en polypropylène. Les moteurs de la vedette tournent.

Comme il est de coutume, l’équipage charge d’abord le fret. J’ai la surprise de constater que les tonnes de bordels divers et variés sont montés et ficelés en tous sens sur le toit de la grosse boite en acier aveugle qui fait office de cabine passagers. C’est la même méthode que sur les taxis brousse, qui finit par doubler la hauteur du véhicule ! La chose m’inquiète un rien. J’ai quelques notions d’équilibres des navires, de part mes études d’architecture navale et 20 ans de navigation à voile. Bref, il va faire beau, la mer sera calme et à défaut de connaissances théoriques, les marins ont l'expérience de centaines de voyages. Je me raisonne.

Enfin, les passagers sont invités à rejoindre la cabine en se faufilant sous les cordes qui retiennent le groupe électrogène. Et là, surprise. La « cabine » est un grand espace vide, avec une unique banquette qui fait le tour de l’habitacle. Bien entendu, la dite banquette est déjà occupée par des bouénis qui s’y sont allongées. Les bouénis sont les femmes ayant le statut de matriarche. Leur caractéristique commune est l’obésité et le caractère réfractaire à tout mouvement une fois allongée, ce qui occupe une grande partie de la journée ! Impossible donc d’obtenir une place pour mon petit derrière. Je m’assois par terre et cale mon dos comme je peux sur le petit sac à dos dans lequel j’ai le nécessaire pour boire et manger pendant la traversée. Naturellement, rien n’est prévu de ce côté. Il n’y a même pas d’eau douce à bord.

Le bateau quitte le quai, embouque la passe en S qui permet de rejoindre l’océan à l’Est du grand récif corallien qui fait le tour complet de Mayotte. Elle n’est pas appelée l’île au lagon pour rien. Supportant mal de rester cloitré dans cet espace aveugle parmi une centaine d’autres personnes, je sors à l’air libre sur le pont arrière. Je n’y tiens que 10 minutes, tellement le bruit du groupe électrogène est intense. Les heures passent sans encombre mais le bateau est soumis à un roulis rythmique qui s’amplifie de plus en plus. Sachant ce qu’il y a au plafond, je commence à m’inquiéter.

L’inquiétude croissante provoque une envie fréquente d’uriner, comme chacun sait. Les toilettes ? C’est une simple cabine minuscule dans le coin arrière bâbord de l’habitable. Il faut faire la queue. Mon tour venu, je découvre un espace dont votre mémoire olfactive vous permettra aisément d’imaginer ce qui m’a sauté au nez. Des dizaines de personnes y ont fait leur besoin avant moi. Dans la cuvette, debout dessus (faute de savoir s’en servir pour certains), voir à côté, et le dispositif est dépourvu de chasse d’eau. Ce qui sauve l’endroit, c’est qu’il est le seul de tout l’habitacle à être pourvu d’un petit hublot rond, ouvert. J’y colle mon nez en tournant la tête et respire profondément l’air marin extérieur, en urinant comme je peux vers la cuvette que je ne peux voir. Mais en baissant les yeux, je me rends compte que mon incapacité à viser convenablement cette dernière n’était finalement pas un problème. La coque en acier est à ce point pourrie qu’il y a de gros trous au niveau du plancher, donnant sur la mer. Le franc bord est tellement bas qu’avec le roulis maintenant très prononcé de la vieille vedette fluviale surchargée, la mer rentre dans les toilettes à chaque coup de gîte à bâbord et que le plancher est lessivé de son urine.

La nuit qui arrive ne calme pas mon inquiétude, bien au contraire. Alors, je tente d’avoir accès au poste de pilotage, pour me faire une idée de la façon dont ce bateau est mené. Je frappe à la porte verrouillée qui mène par un escalier au poste de commandement, à l’avant de la cabine. Je décline mon identité et mes compétences nautiques au marin venu m’ouvrir. Je suis invité sans réserve à rejoindre le capitaine, et reçu avec beaucoup de sympathie. Le capitaine est ravi que je m’intéresse autant à son bateau. Mon intérêt n’est pas uniquement dicté par l’inquiétude ou la réflexion naissante sur une quelconque façon de sauver ma peau, si le bateau chavire. J’aime les bateaux, et suis toujours intéressé par celui des autres.

J’aborde en premier lieu s’aspect mécanique et les commandes, moteur et safran. Nous sommes à bord de ce bateau en plein dans l’ère soviétique. Une série de grosses commandes mécaniques directes et quelques jolis cadrans analogiques d’un autre âge, tous en panne, ornent le tableau de bord qui fait la largeur du poste et se confond avec une immense table à cartes. La carte générale du Nord du Canal du Mozambique est posée, avec la route tracée à l’encre et quelques points de route. Seuls deux appareils modernes sont fixés devant la barre. Un GPS Garmin sans cartographie, identique à celui que j’ai à bord de mon voilier de voyage (pour le moment resté en France) et une VHF fixe d’entrée de gamme.

Me montrant très intéressé et feignant d’ignorer le fonctionnement du GPS, je demande au commandant de m’en expliquer le maniement. Comment rentre-t-il un point ? Avec un naturel tout à son honneur, il m’avoue ne pas savoir s’en servir et s’en tenir aux instructions de la marine française venue lui installer l’appareil et rentrer les points de route. Il a un cap à suivre de point en point. Cela lui suffit. Alors, je lui montre comment faire, et l’aide à rentrer un point supplémentaire, puis à le supprimer, pour ne pas perturber ses habitudes. Très reconnaissant, il m’offre le café et m’invite à rester dans le poste avec lui, avec la liberté d’aller et venir sur le pont avant, qui n’est accessible que depuis son poste.

Je passe donc les 12 heures de nuit sous un ciel étoilé et une température douce, allongé confortablement tout proche de la vague d'étrave, adossé aux quelques engins de sauvetage rigides. Le calcul est vite fait. Il y a de quoi sauver 50 personnes au mieux sur les 100 présentes à bord, hors équipage. De toutes manières, vue la configuration de la cabine passagers, aveugle et seulement équipée d’une petite porte qui serait immergée si le bateau se retournait, peu de gens réussiraient à s’extraire du piège mortel avant la noyade.

Aujourd’hui encore, 20 ans plus tard, j’en ai des frissons et ne peux m’empêcher de penser aux amis décédés par noyade, coincés à l’intérieur d’une des navettes faisant la liaison entre la grande Terre et l’île de Sainte Marie. La ministre du tourisme se trouvait à bord en voyage officiel, et a perdu la vie comme presque tous les passagers.

Au moins, allongé en plein air sur le pont supérieur avant, suis-je aux avant-postes et pourrais-je enfiler un des quelques gilets qui se trouvent dans un coffre à côté des engins flottants si le pire se produisait… Il ne s’est pas produit, fort heureusement. Mais quelques semaines plus tard, ce qu’avait prédit l’électricien de marine arriva. Le circuit électrique a pris feu, et la vedette a coulé dans le port de Mayotte. C’était ce qu’on pouvait finalement espérer de mieux, avant d’un drame n’arrive à bord de cette périssoire.

Après ce deuxième voyage, trouvant la prise de risque inutile, j’ai traversé le canal du Mozambique comme passager sur des voiliers voyage. Le défaut d’avion, et le risque encouru sur les liaisons régulières comoriennes constituaient une aubaine financière pour les propriétaires de voiliers de voyage. Ils faisaient payer le prix du billet d’avion, soit 400 euros l'aller-retour ! Mais au moins ai-je voyagé à la voile, sur deux très beaux voiliers équipés TDM, avec des propriétaires skippers confirmés. Une bonne couchette et des repas chauds m’ont toujours été servis, avec la possibilité de participer à la marche du bateau et aux quarts.

23 déc. 2022

Tu te rappelle de ce fil : www.hisse-et-oh.com[...]es-mers
Pourquoi pas????

23 déc. 2022

Oui Pascoq, j'avais vu. Merci !
Mais mes histoires contemporaines n'ont pas leur place parmi des récits historiques de grands marins.
L'idée de proposer mes récits compilés dans 1 ou 2 bouquins avec photos ne pourra voir le jour qu'après un énorme et laborieux travail de relecture et de correction, pour lequel je n'ai aucune motivation.

Pour parler cru, j'écris comme je pisse, et une fois fini le premier jet, je me détourne sans y revenir !

24 déc. 2022

Pour la relecture et la correction je suis preneur.

J'ai pas mal de bouquins, et beaucoup de biographies, bien qu'en vente libre, ont beaucoup moins à raconter, et avec moins de talent littéraire, que les récits que tu nous sert !

Merci !

24 déc. 202224 déc. 2022

C'est très gentil de ta part. Mais ma demande était une boutade !

Cette proposition m'a été faite plusieurs fois, mais j'ai refusé. Je tiens à réaliser ce travail moi-même, car les quelques textes corrigés (sur 55), sont complétés, enrichis, et plus littéraires qu'à la première écriture.
Par ailleurs, la première tentative de relecture par un professionnel, que j'avais acceptée, s'est soldée par le retour d'un texte truffé d'erreurs. Le correcteur ignorait tout du vocabulaire et des expressions maritimes ce qui rendait illisibles certains passages, faute de les avoir compris !

Je vais en baver, cependant comme j'écris d'abord pour mes enfants qui liront ça un jour, et je l'espère des petits enfants, je tiens à ce que ce soit mon entier travail.

Je ne fait que perpétuer la tradition familiale. J'ai eu deux grands-pères à la vie aventureuse, dont l'un avait de grands talents d'écriture, sans avoir jamais publié ni fait lire ses textes (sauf ses ouvrages professionnels, sur l'éducation physique d'après guerre, qui ont fait rentrer l'éducation physique comme discipline à part entière dans l'éducation nationale).

Une armoire était pleine de classeurs de papiers noircis à l'encre de chine, car il écrivait à la plume. Comme je n'avais pas le droit de les lire, j'attendais qu'il soit parti en balade pour ouvrir les classeurs et me délecter de ses écrits. Je pense qu'il s'était rendu compte que je lisais ses textes, mais ne m'a jamais rien reproché. C'était notre petit secret.

Un jour, sans crier gare, il a tout brûlé dans le jardin considérant que son existence ne méritait pas de laisser de trace. 35 ans après sa mort, je ne lui ai toujours pas pardonné !

24 déc. 2022

Triste fin pour des années d'écriture :-(

Mais pour perpétuer la tradition familiale, il va falloir que tu trempes ta plume dans un encrier, ce sera plus joli, et tu t'apercevra que ce n'est pas si difficile !

01 jan. 202301 jan. 2023

Vos histoires de livres de bord.

Tel aurait pu s'intituler le nouveau fil que j'ai renoncé à créer, préférant simplement vous livrer ici une histoire qu'un de mes livres de bord en image racontera bien mieux que moi !

Mon livre de bord s'est toujours davantage apparenté à un carnet de voyage qu'à un document strictement officiel et technique. Tout juste contient-il chaque jour, factuels et présentables à une compagnie d'assurance, la date, la composition de l'équipage, une météo succincte et la route suivie. Parfois, la toile établie et les changements de voiles.

Actuellement sur ma terre natale, j'ouvre des caisses en cartons stockées depuis presque trente ans, et je parcours ces fameux documents. La lecture de quelques passages est assez troublante. J'ai tout oublié ou presque de certaines périodes, et je me retrouve à lire des histoires qui ressemblent étrangement par le style littéraire et la syntaxe à ce que je vous donne à voir dans ce fil.

Je me sens étranger à ces petites aventures par l'éloignement temporel et l'oubli, mais le style me plaque face à un miroir. C'est bien moi qui vit et raconte, comme si je l'avais écrit hier. J'éprouve un sentiment troublant, je disais... peut être un peu de celui que décrivent en disant ne pas l'apprécier, les acteurs ou musiciens qui se regardent ou s'écoutent des dizaines d'années plus tard.

Le week-end raconté dans cette page d'un livre de bord datant de 30 ans n'a aucun intérêt, sinon, la beuverie et la gueule de bois qui ont suivi une soirée à 6 compagnons dans mon petit Start 7 Mallard au mouillage à Chausey, et surtout le lègue de ce document.

Il n'a pas échappé à mes invités de la soirée au mouillage que mon livre de bord, resté ouvert sur la table du carré, n'avait que peu de valeur technique. Alors chacun s'est un peu lâché sur la page de ce grand cahier d'écolier. Seules les six premières lignes sont de moi, de cette même écriture maladroite qui m'accompagne depuis l'école primaire !

Rien n'a changé non plus de ce côté, ce qui fait toujours autant rire mes étudiants. Heureusement que l'outil informatique est là pour me sauver la mise !

PS : c'est un portrait de moi. Générique, mais assez ressemblant à ce que j'étais à l'époque. Et pas que la tenue !

01 jan. 2023

Magnifique j'adore

02 jan. 2023

Superbe souvenir d'une belle journée !

01 jan. 2023

Bonsoir. Superbe VL35 !!! ENCORE !!! ENCORE !!! ENCORE !!!

02 jan. 2023

Un autre week-end à Chausey : OVNI 40 ON THE BEACH

St MALO - Les Bas Sablons : Vendredi 13 septembre 1983, 19 h. Jean Louis, Eric, Patrick, Nicole et les autres engouffrent des tonnes de vivre sur l'OVNI 40. Où irons-nous demain ?

Le temps est calme, un peu frais. Rentrons nous réchauffer; l'ambiance monte. Le temps s’écoule.

Il est minuit déjà, c’est l'heure de dormir ou de partir. Nuit étoilée, vent faible d’est, Daniel propose " qui veut y aller ? «

3 h du matin: Vent d'est de 15 nœuds dans la Déroute. Cap sur Jersey, vent faible. Tout le monde dort, ou presque .

7 h : Brume épaisse, corne de brume lugubre. Où se trouve cette fichue Demie de Pas ? Le pif supplée le decca défaillant. Tiens, des rochers! Chance ? Nous sommes juste dans l'entrée de St Hélier.

Si nous allions à St Aubin ? Une heure après, nous sommes posés "on the beach". Le soleil matinal dévoile la baie. C'est l'heure du petit déjeuner dans le cockpit, immédiatement suivi de la dégustation d'huitres de Cancale qui précède l'apéritif, préalable à un sublime veau à l'oseille ... Bref, Léo se déchaîne.

Une petite sieste s'impose avant une ballade en bus à St Hélier. Au retour, surprise, le bateau flotte. Tout le monde à la nage avant l'apéritif. Au menu de ce soir: porc à l'ananas. Bonne nuit.

8 h : C'est bien matinal ma pour certains. Cap sur Chausey au largue.

Elizabeth Castle, Diamond Head, les Caux défilent. Bernard, Eric fourbit ses lançers, ses leurres. La Petite Entrée approche.

Nous y sommes. En route pêche maintenant. Daniel, l'oeil sur la carte, repère la « basse à Betton ».. Deux lieus et un bar feront les frais de nos quatre tours, au plus près de ce fameux caillou.

Mouillage de rêve aux Huguenans, puis café à la terrasse de l'Hôtel du Fort.

16 h : Nous quittons le Sound de Chausey sous grand voile, yankee et trinquette; trois heures plus tard, nous parons le Grand Bé.

La discussion s'oriente sur les horaires de train, le travail. Nous ne sommes partis que depuis deux jours !

02 jan. 2023

UN matin ma femme se retourne dans sa couchette et pousse un fort cri, comme elle est en rémission d'un cancer , je fais venir un médecin qui lui fait une piqure et lui prescrit en plus des médoc's le lit durant au moins 3 jours .....
Nous étions à Propriano ou le soir, le restaurant l'Hippocampe était notre escale "langoustes" préférée l'équipage ne voulait pas rater l'escale, ma femme idem, aussi je lui conseillais de faire du stop
Une voiture s'arrêta, c'était le Médecin ..... heureusement le restaurateur étant son cousin, il ne pouvait qu' excuser cette remise en cause de son travail

03 jan. 202303 jan. 2023

Avec Albert, on s’était rencontré par hasard.

A cette époque, je faisais pas mal de convoyage et étais donc parti de la maison plutôt souvent. Lui était marin pêcheur et sortait pour des marées de 10 à 15 jours.
C’est quand il décida de prendre un poste de prof à l’école des pêches de La Rochelle et que je fus reçu à l’École Normale d’instits qu’on s’aperçut qu’on avait depuis pas mal de mois la même compagne.

Au lieu de nous entretuer, cette « proximité » nous rapprocha. On allait toujours régulièrement voir notre belle brune, mais on se prévenait avant et somme toutes, ça marchait plutôt bien. Notre chaude amie ne s’en plaignait pas trop, jusqu’à ce qu’elle se trouve un nouveau compagnon aux idées moins larges que son … que nous.

Albert était un colosse.

Il mesurait dans les 1,90m, faisait de la muscu et avait des mains habituées à manier les filets et les poissons qui s’y trouvaient.

Quand on partait en virée dans les bars de La Palice, si quelques marins philippins éméchés cherchaient un peu la bagarre, je me positionnais tranquillement derrière mon collegue et comptait les points (gs?).

Après quelques ennuis sur place, il postulat et fut accepté comme prof de ramandage à l’école des pêches de Conakry, en Guinée.

Peu de temps après, suite à un atterrissage malencontreux d’un inspecteur sorti un peu vite par la fenêtre de ma classe (j’étais vif à cette époque), je quittais l’Éducation Nationale et partis avec mon petit Shellfish pour m’établir « ailleurs »

Cet ailleurs passait bien sûr par Conakry.

J’y arrivais un samedi matin, arrivant de Casamance.
Je n’eus pas de mal à trouver Albert, puisque le premier pêcheur rencontré m’emmena dans la « zone réservée ».

La vie à Conakry, pour les Européens, était proche de la vie que devaient avoir les colons du début du 20ème siècle. C’était une atmosphère parfaitement coloniale. L’équation était simple : les indigènes n’avaient rien. Le dictateur et sa famille vivaient dans un luxe ostentatoire (palais et nombreuses voilures de luxe) et les Européens, payés une fortune, vivaient dans leur enclos, ne sortaient qu’entourés de gardes armés sur les ailes de leur Toyota 4x4, pour aller passer le temps au « café des blancs » .

Donc ce samedi soir, j’accompagnais Albert. La bière était fraîche, les serveurs noirs stylés et les filles nombreuses montaient régulièrement avec les clients dans les chambres à l’étage et se baignaient nues dans la piscine en sirotant des mousseux importés.

Quand il me ramena à bord, au matin je m’effondrais dans ma couchette et dormis toute la journée.

Le Lundi matin quand je voulus passer les grilles du port, le « maître du port » était là Son costume bleu clair à épaulettes sur sa chemise blanche tenait difficilement une bedaine adipeuse. Même tôt, il dégageait une forte odeur de sueur et de whisky de bas de gamme.
Il me demanda mon « laisser passer » que je n’avais bien sur pas et une quantité importante de dollars pour le faire.
Suite à mon refus, il m’indiqua qu’il allait de ce pas fouiller mon navire afin de savoir si je ne transportais pas des drogues, armes ou quelques produits illicites.

Nous partîmes donc vers le bout du quai, lui marchant devant, et deux pioupious qui me tenaient en joue de leur mitraillettes à sa suite.

L’histoire se présentait mal. Je n’avais rien. Pas même une bouteille de gnôle à lui donner. Je voyageais léger me nourrissant à peu près exclusivement de riz et de nuoc mam, agrémenté des poissons que je péchais.

Mon bateau était là. Tout en bas. A Conakry, le marnage atteint 4m et les eaux boueuses font que l’échelle pour y descendre ne laisserait pas le bel uniforme bleu clair du « Colonel » autrement qu’intégralement crasseux.

Voyant ça, le fâcheux m’intima de déguerpir sur le champ . De larguer les amarres et de quitter immédiatement les eaux nationales.

Je partis donc directement vers Praia, au cap Vert, dans une traversée bien difficile pour mon petit shellfish, au près dans l’alizé.

05 jan. 2023

Un marnage complice !

;-)

05 jan. 2023

Et la suite après Conakry est là www.hisse-et-oh.com[...]e-mer-8 (06/12/2020

05 jan. 2023

Merci ED !
Depuis que tu as rejoins HEO je lis avec toujours beaucoup d’intérêt tes interventions et avec délectation tes récits
Sans être maladivement curieux j'aime bien à l'occasion comprendre la vie des gens. Tu a eu une famille de grands marins tu as fait plusieurs TDM et ou TDA, de l’école de voile, des régates de toutes sortes !
J'ai pensé au début que tu étais ingenieur ?
Je découvre au coin de ce dernier message que tu a été quelque temps instituteur avant de défenestrer un inspecteur !! Un rebelle ?
Merci d'avoir un peu soulevé le voile !
J'attends la suite avec impatience
Amicalement
jean

05 jan. 2023

J'en ai dit un peu là : www.hisse-et-oh.com[...]e-mer-9 (22/1/21) et là www.hisse-et-oh.com[...]mer-6-1 (5/8/2020)

05 jan. 2023

merci passionnant, j'avais loupé ces épisodes !!!
celui du chien est hallucinant !

08 jan. 2023

plus de 3 heures que je me delecte a lire vos recits a tous,en remontant de vieux fils ,merci a Ed850 ,initiateur de ce fil ,que du bonheur !!!!continuez a nous faire rever ,encore MERCI......

08 jan. 2023

salut............ si tu aimes les récits soit assez particuliers, hors du commun, ou encore qui t"'apprennent qq choes, va lire le tome 1 de la collectionn "... raconte moi la mer..." chez Sydney Laurent tu l'as à la FNAC sur Am

08 jan. 2023

excuse... il est parti seul............ oui, aussi sur Amazone, et ton libraire te le commander aussi c'est possible... selon l'auteur "Jérémy SULAC" le tome 2 devrait paraitre en juin ou juillet et là encore d'après ce que j'en sais "y'a du grain à moudre"........... distrayant et cultivant !! amicalement

11 fév. 202311 fév. 2023

En panne d’inspiration depuis des mois, faute d'assez naviguer depuis trop d’années comme je le faisais avec avidité autrefois, il me reste néanmoins quelques anecdotes techniques à raconter.
Ca aura au moins l’intérêt de remonter ce fil à la surface !

La WOA (Westerly Owner Association) m’a prié récemment de leur traduire en anglais quelques histoires croquantes que j’ai racontées ici, pourvu qu’elles aient eu lieu sur un bon vieux Westerly. Il m’en est revenu une en mémoire, que je ne crois pas avoir encore écrite.

Le Frein Filet

Nous montons aux îles Scilly en juillet 2011 à bord de notre Konsort biquille, depuis Saint Malo. Nous y passons trois semaines à l’abri de l’échouage de Green Bay, au Sud Est de Bryer. Le temps est pourri, comme souvent au mois de juillet. Le retour se fait gentiment par la Cornouaille, par un temps de plus en plus clément. Début août, c’est finalement sous un anticyclone écrasant que nous retraversons la Manche au moteur, sur une mer d’huile.

Une occasion de plus de constater le nombre incroyables de cochonneries qui flottent à la surface…
Nous avons d’autant plus le temps d’en faire un inventaire que notre bateau, remotorisé par l’ancien propriétaire peu avant la vente, est doté d’une hélice bipale ridicule, dont le pas et la surface sont davantage adaptés à un monocylindre de 8 chevaux équipant un pêche promenade de 6 mètres, plutôt qu’au diesel de 24 chevaux sur notre unité de 9 mètres.

Le bateau se traîne à 4 nœuds au mieux, alors que je pousse les gaz aux trois quarts. C’est désagréable pour les oreilles, d’autant plus que le lourd bicylindre Bukh vibre anormalement. Néanmoins, nous rejoignons Guernesey sans encombre, puis faisons route vers Jersey deux jours plus tard.

Le vent est désespérément nul, la mer aussi lisse qu’une nappe d’hydrocarbures, mais au moins les courants de marées n’ont-ils pas décidé de s’arrêter aussi ! Nous progressons à 6 nœuds sur le fond avec le courant dans le derrière vers le phare de Corbière, à la pointe Sud Ouest de Jersey.

Puis tout à coup, par-dessus le vacarme vibrant du DV 24 qui gueule à haut régime, j’entends un « PAF » sec, accompagné d’une secousse dans les pieds, puis plus rien. Le moteur ne tourne plus. Nous sommes au milieu d’un miroir de brume dans un silence total.

« Merde, qu’est ce qui se passe ? »

Je redémarre le moteur. Il part au quart de tour, mais il fait maintenant des bonds sur son berceau. Je coupe. Je regarde par dessus bord : rien. Je descends et ouvre le compartiment moteur. « Ah… ». Deux des quatre silent blocs sont arrachés. Ceux de devant. Le moteur est cependant à sa place et le presse étoupe ne fuit pas.

Le temps se prête à plonger, donc j’enfile ma combinaison de chasse sous marine et je m’équipe d’un couteau. La descente par la bonne échelle de bain que j’ai installée se fait facilement, malgré les palmes trop longues.
Et Là… je crois d’abord faire face à une énorme méduse verte coincée sous la coque, avant de comprendre. C’est un morceau de filet de chalut de plusieurs mètres carrés, qui est passé entre les deux quilles et s’est entortillé dans la ligne d’arbre. L’hélice et la chaise d’arbre ne sont plus visibles, tellement la boule verte est grosse.

Je taille au couteau de chasse. C’est peine perdue. Les mailles sont solides, denses, la boule de polypropylène trop serrée autour de l’hélice. Après une dizaine d’apnées je commence à douter. Je n’ai presque rien entamé de cette masse compacte, et j’ai une forme de vertige, dû à la présence de la coque au dessus de ma tête. Cette sensation qui m’était encore inconnue est assez désagréable. Le fond insondable en dessous, même s’il n’y a que quarante mètres d’eau, et la masse noire de la coque au dessus.

Ma femme refuse de me laisser continuer. Elle a peur à raison que je me blesse et sait ne pas avoir la force physique de me remonter à bord. Bien sûr, j’ai mis l’annexe gonflable à l’eau le long du bordé, mais je lui donne raison et remonte me réchauffer avec un café. Le bateau dérape à deux nœuds dans la bonne direction avec le courant de flot. Les voiles sont affalées, inutiles.

Alors, je fais mes calculs. Dans 4 heures, le courant va tourner et nous renvoyer vers le Nord Ouest, à l’opposé de notre route. La météo annonce un régime de brises thermiques pour le milieu de la journée. Il n’y a plus qu’à attendre et nous verrons bien qui l’emportera, du vent ou du courant !

Il arrive assez vite, à la satisfaction de l’équipage. Le bateau pousse ses quilles et son "frein filet" vert à 2 nœuds, ce qui est honorable. Nous passons sous Corbière à 5 nœuds sur le fond, une heure avant la renverse. Je suis ravi. Le courant au Sud de Jersey est une vraie chasse d’eau, qui nous pousse maintenant vers l’Est, et avec un peu de chance nous aurons doublé la pointe Noirmont et trouverons l’abri de la baie de Saint Hélier avant la renverse.

Ca passe pile poil à l’étale, et nous chopons le contre courant de la baie qui nous permet de remonter à 1 nœud vers le port d’échouage de saint Aubin. Nous doublons la digue du petit port historique de Fort Saint Aubin et nous dirigeons droit vers la plage face à la ville, toutes voiles dehors. Le bateau s’immobilise sur le sable dur. Nous affalons. Il est l’heure du goûté pour les enfants, ce qui laisse le temps à l’eau de descendre d’un mètre pour que je puisse travailler tranquillement à pieds secs sous la coque.

Ce coup-ci, je prends le couteau à lever les filets de poissons, muni de gants cuir de travaux, plutôt que les gants de chasse qui laisseraient passer la lame en céramique comme du beurre. Je n’en reviens pas. Plus je taille, plus il en vient et plus j’ai l’impression qu’il en reste ! Le filet s’allonge sur le sable, encore et encore. C’est finalement trois mètres de filet coupé et déchiré qui sont allongés derrière le bateau.

Les dégâts sont à la hauteur de mes craintes. La chaise d’arbre en bronze est cassée, l’arbre d’hélice tordu, et donc les silent blocs arrachés. Et l’inverseur… ? Ca va coûter cher.

Un élément intéressant est la cause de la rupture de la chaise. C’est le dispositif « coupe orin », constitué de deux ciseaux en acier de forte épaisseur et peu affutés. L’un est fixé au bas de la chaise par trois vis métal de fort diamètre, et le deuxième tourne avec l’arbre. Ce double ciseau est censé couper les algues et les textiles, mais dans le cas de ce filet ou d’un cordage de bonne section, c’est bien entendu impossible. Le filet coincé dans la paire de ciseaux a stoppé net la rotation de l’arbre entrainant à la fois le déchirement des silent blocs et la rupture de la chaise où était boulonnée la partie fixe du dispositif.

La « plaisanterie » m’a couté 4.000 euros à l’époque, et je m’en suis bien sorti. L’inverseur n’était pas endommagé. Il a fallu évidemment changer toute la ligne d’arbre, à commencer par la chaise et l’arbre lui-même. J’ai remis un coupe orin sur l’arbre, mais un simple dispositif constitué d’un anneau à dents. J’en ai profité pour acheter une hélice à mise en drapeau.

Photos : photos prises le cul sur le sable de la plage de Saint Aubin, juste après avoir viré le filet, que je n'ai pas pris en photo. J'aurais dû. Pas eu la présence d'esprit...
Montage de la nouvelle chaise, avant stratification et renforts intérieurs.

11 fév. 2023

Bon, mon histoire est moins dramatique que la précédente, mais c'est une petite mésaventure qui pourrait nous arriver à tous...

Je suis en ce moment dans un autre port que le mien. On accède aux pontons avec une carte magnétique. Aujourd'hui samedi vers 18 h30, je vais à ma voiture chercher quelque chose dont j'avais besoin, et en voulant regagner le ponton, beep beep : la carte magnétique ne veut plus rien entendre...
J'ai été trois pontons plus loin, où je voyais quelqu'un en train d'arriver et je lui explique le problème. Mais comme il ne me connaît pas, il préfère pas m'aider, je peux comprendre...
Et évidemment, personne au secrétariat à cette heure.
Finalement, je me suis risqué à quelques acrobaties pour contourner le portique, descendre vers l'eau, escalader une barrière surmontée de dents "mortelles" :-)
Un jeu d'enfant ! Ca n'empêcherait certainement pas un cambrioleur de passer, suffisait d'essayer.
Je suis rassuré, si ça arrivait encore, je ne m'inquiète plus. Mais décidément, ce n'est vraiment pas facile d'assurer la sécurité aux pontons...

Bonnes navs !

PS : non, je ne vous dirai pas de quel port il s'agit :-)

11 fév. 2023

Tu comprends qu'il ne préfère pas t'aider? Moi pas. Triste monde où on laisse un brave gars risquer les dents de la barrière plutôt que lui ouvrir la porte :-(

11 fév. 2023

Disons que voir un type inconnu faire une telle requête peut peut-être susciter une certaine méfiance, surtout qu'il faisait déjà assez sombre et que je devais avoir une tronche de cambrioleur !
Mais, blague à part, c'est évident que si j'avais eu de mauvaises intentions, je ne me serais certainement pas adressé à quelqu'un de façon aussi voyante !

12 fév. 2023

A propos de carte magnétique:
On arrive à Llanes en Espagne en avril 2013. Port tout neuf et le marinero nous explique qu'on peut rester 3 jours gratuitement, ce qui nous convient parfaitement.

Problème: il faut une carte magnétique pour accéder au ponton, on compte partir dimanche matin et le marinero n'a aucune envie de venir récupérer la carte dimanche alors qu'il est en congé.
Il nous explique la ruse:

Pour sortir du ponton, pas de problème. Il y a un capteur détecteur de présence qui ouvre la porte quand on passe devant.

Pour aller sur le ponton: on se met en haut du quai à la verticale du capteur (capteur qui est sur le ponton). Du haut du quai, on passe une haussière devant le capteur qui ouvre la porte. On a ensuite 15 secondes pour entrer sur le ponton.
On essaye: ca marche..

Bilan :On était 3 à bord et on a passé 2 jours à se balader en ville avec chacun notre haussière ouvreuse de porte sous le bras.

Benoit

12 fév. 2023

Ça me rappelle un nouveau portillon de sécurité dans mon ancien taf'.
Carte RFID d'un côté, bouton de l'autre.

Le bouton était accessible à travers la grille ...
Et ça n'avait pas pas percuté les cervelles de l'installateur, du superviseur ...

Bouton deplacé d'un mètre, mais toujours accessible avec une canne 😀

12 fév. 2023

A propos d'objet magnétique;
L'affaire se passe il y a une petite dizaine d'années. J'avais choisi cette année là d'aller trainer ma quille en Mer Baltique. Au passage, c'est une croisière que je vous recommande, c'est superbe.
Mon épouse m'avait rejoint avec une partie des petits enfants et devait repartir avec eux depuis Göteborg. Nous nous étions posés à la marina Göteborgs-Gästham en plein centre ville. A proximité immédiate se trouvent plusieurs vieux bateaux gris amarrés à quai. L'un d'entre eux , le HMS Smaland J19 se visite et j'en avais fait profiter les enfants.
Il était prévu que je retrouve mon épouse trois jours plus tard à Copenhague accompagnée d'une autre bordée de marmots. Je devais donc convoyer seul le bateau entre les deux ports.
Mon équipage parti je quitte la marina qui se trouve dans la rivière traversant la ville.
A peine sorti je vais au milieu du fleuve, prends la route moteur au ralenti et mets le pilote le temps de descendre jeter un oeil sur la carte. Une poignée de secondes plus tard je sors et vois que nous avons fait une embardée de 90° et que nous allons droit sur le destroyer que j'avais visité la veille. Je me jette sur la commande du pilote et sur la barre et réussis à virer à temps pour passer à 3 m de la muraille grise. Je ne comprends pas ce qui s'est passé et je pense que j'ai du faire une erreur de manip.
Je repars tranquillement et, sorti de l'embouchure, je m'engage dans un chenal mal pavé. Je prends ma route consciencieusement avant de brancher le pilote pour descendre voir la carte et me la remettre bien en tête. 30 secondes plus tard le bateau a encore changé de cap tout seul et va droit sur les cailloux. Cette fois ce ne peut être moi le responsable. Une fois je veux bien mais pas deux. Il y a quelque chose qui ne va pas quelque part.
J'arrête le bateau et descends vérifier la centrale du pilote. Je ne suis pas qualifié mais je cherche s'il n'y a pas par hasard un fil de débranché ou quelque chose qui me saute aux yeux. Ce ne serait pas la première fois. Rien d'inquiétant.
Je regarde dans le coffre où se trouve le compas du pilote: rien. Il me vient alors à l'idée de regarder dans le coffre voisin, et là, surprise: pour rationnaliser le rangement l'amirale avait eu la bonne idée d'y stoker des boites de conserve!
Comme quoi il est bien vrai que l'enfer est pavé de bonnes intentions...

12 fév. 2023

Ah, j'avais eu la même chose avant de m'apercevoir que j'avais posé ma boîte à outils sur le plancher de la cabine avant, par flemme de la ranger, juste au dessus du Giro du pilote.

12 fév. 202312 fév. 2023

J'ai initié un fil de discussion en 2016, sur la reconstruction des varangues de mon Westerly Konsort. C'était purement technique, et il y a eu peu d'interventions.

C'est précisément ce que m'a demandé de raconter en anglais la WOA. Il semble que ces misères soient de plus en plus fréquentes sur les vieux Westerly. Je dis "semble" mais j'en suis sûr, car je suis un fil de discussion réservé aux membres avec la litanie des bateaux qui perdent leur quilles, au grand étonnement des propriétaires.

Voila ce texte, un peu étoffé. J'avais pas envie de tout raconter à nos meilleurs ennemis !
Un gros paquet de photos va avec, numérotées dans l'ordre chronologique de la rénovation.

En juillet 2009 nous sommes de retour estival en Bretagne après un grand voyage vers l’Océan indien, où nous avons mis en vente notre voilier de voyage de 35 pieds. Notre fille a tout juste trois ans et mon épouse est enceinte de 7 mois, alors nous cherchons un voilier échouable pas cher et adapté à une navigation côtière familiale entre la Bretagne Nord et les îles Silly.

Nous avons quelques semaines pour trouver la perle rare, car nous devons retourner fin août à Madagascar, où nous avons décidé de poser sac à terre pour quelques temps pour bosser. Les copains bretons nous prêtent à tour de rôle leurs bateaux, pour que nous puissions joindre l’utile à l’agréable. Avoir un toit au dessus de la tête pour la petite famille, retrouver nos eaux fraiches et turbulentes et aller jusqu’en Angleterre, où en ce moment la livre sterling est au plus bas. Un grand nombre unités intéressantes sont mises sur le marché de l’occasion à vil prix.

Le Westerly Konsort biquille, que je connais car il y en a quelques uns dans la région de Saint Malo, serait le compagnon idéal pour ce programme de croisière en rase cailloux, avec de nombreux échouages. Il y a bien quelques Attalia Jeanneau DL sur la façade Atlantique, mais ils sont trop chers, et pas disponibles à la visite avant septembre.

Les Konsort, encore horriblement chers il y a deux ou trois ans, sont passés en dessous de la barre des 30.000 euros compte tenu de la crise financière qui touche de plein fouet l’Angleterre et du taux de change historiquement bas de la livre. Alors nous montons voir trois unités à vendre près de Falmouth, avec le Feeling 346 DI prêté par nos amis Christophe et Véronique. Nous tombons nez à nez avec un Konsort dont je n’avais pas vu l’annonce sur internet, dès notre première escale à Jersey. Il est 10.000 euros moins cher que ceux de Cornouaille, et apparemment propre.

J’appelle le Brooker qui, travaillant sur le port rapplique dans les 5 minutes. Un bonhomme jovial à l’enviable barbe rousse, qui nous met à l’aise tout de suite. Le prix est largement négociable, il accepte les euros aussi bien que les livres (en tenant compte de la conversion qui nous est favorable, bien entendu), et ne voit pas d’inconvénient à ce que nous laissions le bateau dans la marina pendant deux mois, le temps de nous retourner.

Le moteur, un lourd Bukh DV 24 est récent, et de nombreux travaux ont été réalisés pour la vente. Winchs ST, pilote auto, GPS lecteur de carte, et réservoir de gazole en inox viennent d’être remplacés. Les voiles d’une dizaine d’années sont propres, il y a deux spis dont un neuf, une annexe et pas mal d’équipements laissés avec le bateau. Le seul Hic est de taille, néanmoins. Le bateau présente un problème visible de structure au niveau de la quille bâbord.

Il a posé deux fois par jour plusieurs années dans le port d’échouage de Gorey, à l’Est de Jersey. Il est assez mal protégé, surtout en hiver où les sautes de vent au Sud font des dégâts. Un renforcement des varangues est visible, mais cette réparation consistant à un surplus grossier de couches de mat de verre sur les boulons de quille et le bas des cloisons ne semble pas satisfaisante.

Nous achetons néanmoins le bateau, après un rapide calcul. Trop rapide, peut être. Nous sommes contents d’avoir sous la main, à une demi journée de nav de notre port d’attache, un bateau bien équipé, ayant un moteur puissant et récent, et dont l’aspect intérieur est absolument impeccable. S’il faut refaire de la strat, je ne suis pas plus inquiet que cela. Je suis en pleine construction d’un trimaran à Madagascar. J’ai les mais dedans, comme on dit.

Le brooker se montre très arrangeant. Il baisse encore le prix après un coup de fil express au propriétaire, de sorte d’alléger la TVA que nous devrons payer. Tous les papiers, y compris la radiation de pavillon, seront prêts à notre retour, lorsque nous finaliserons la vente.

Je viens chercher le bateau avec un pote, deux jours après la naissance du petit dernier. Je pose le bateau dans un chantier de Saint Malo, et je l’oublie. Je file à Mada.

Dès les premières posées, de retour en Bretagne un an après l’achat, des grincements sonores remontent des fonds côté bâbord, et les planchers du carré se soulèvent de 2 centimètres au bas de la descente. Une fissure verticale s’ouvre en bas de la cloison de la table à carte. Le bruit est tellement angoissant, que nous ne pouvons pas dormir lorsque le bateau se pose. Nous naviguerons pourtant comme ça plusieurs saisons. Notre séjour malgache s’allonge et je n’ai pas le temps d’entreprendre des travaux à bord.

Puis un jour de grand beau temps, en rejoignant un mouillage au moteur, un talonnage à 4 nœuds sur la quille bâbord met un terme définitif à notre croisière. Un craquement sinistre se fait entendre. Je coupe immédiatement le moteur et me précipite dans le carré pour soulever les panneaux de la banquette bâbord.

L’étendue des dégâts est considérable. Les deux varangues sont cassées en leurs milieux, et toutes les stratifications des cloisons sont déchirées. Le temps de rejoindre le port de Saint Malo, les coffres sont pleins d’eau. La fuite vient du boulon avant de la quille.

Une fois le bateau levé dans les sangles du travel lift, je constate que la quille bâbord oscille librement, comme si elle n’était retenue que par une peau souple et élastique. J’ai un gros coup au moral, et je pense vendre le bateau pour pièces, avant de découper la coque à la tronçonneuse. Dans l'état notre barque ne vaut plus rien, et je sais ce qu’implique en heures de main d’œuvre et donc en coût financier une reconstruction complète des varangues.

Nous quittons le bateau comme ça et un an de plus passe. J’ai le temps de réfléchir. Je ne suis pas malheureux. Le trimaran va bien et je m’éclate avec à Madagascar. Je passerai un été complet à réparer le bateau en bossant 10 heures par jour s’il le faut, c’est tout !

Le chantier de la Landriais, dont je connais bien tous les responsables, démâte et déquille le Konsort avant mon arrivée et met à ma disposition un logement gratuitement, à l’intérieur même du chantier. Je dispose également de leur gros outillage. Un autre copain a également acheminé à bord ma commande de résine époxy, de consommables et de contreplaqué.

A mon arrivée, la coque déquillée est à l’abri d’un hangar dans un conformateur à sangles, pour que la carène reprenne sa forme. Je vide le bateau de tout son équipement, avant de démonter intégralement le carré, entre la cloison de mât à l’avant, et celles de la cuisine et de la table à carte à l’arrière. Tout est fait dès le premier jour, tellement ce démontage est facile. Les aménagements ne sont qu’agrafés et collés avec un filet de colle blanche qui a cédé depuis longtemps.

Je ne peux cependant conserver que les panneaux latéraux des couchettes. Tout le reste est hors d’usage car imprégné de gazole, en raison de la rupture du vieux réservoir en ferraille qui avait rempli les fonds avant l’achat du bateau.

Sous le grand panneau en contreplaqué horizontal, qui soutient les aménagements du carré et masque en partie les varangues (curieuse conception, entre nous…), la misère apparait ! Deux des quatre varangues en contreplaqué sont cassées mais surtout, toutes les stratifications des varangues et des cloisons sont décollées ou déchirées. La coque, sondée et percée en plusieurs endroits autour des quilles ne montre par contre pas de délaminage, ce qui me rassure.

En toute franchise, il m’apparait que cette structure d’origine est trop faible. Quatre morceaux de contreplaqué de 10 mm d’épaisseur, collés à la coque par deux ou trois couches de mat de verre ne sont pas suffisants pour une unité de 4 tonnes qui pose régulièrement. Les « varangues » sont trop courtes et s’arrêtent au milieu de nulle part, n’allant même pas jusqu’aux éléments de structures longitudinaux de part et d’autre des quilles !

Le Chantier Westerly a payé très cher une certaine « légèreté » au début des années 1980. De nombreux Centaur, Konsort et même Griffon presque neufs ont dû être réparés aux frais du constructeur.

Donc, je détruis tout, sauf la partie centrale de la structure sous la table du carré, qui est intacte et mécaniquement suffisante. Les stratifications et panneaux de bois partent sans gros efforts en quelques heures à l’aide d’une masse et d’un burin.

Puis je meule la coque avec des disques à gros grains. Je la désépaissis d’environ 3 mm, pour retrouver le stratifié sain, sous la couche de fibre imprégnée de gazole et de flotte. Cette étape du travail qui dure plusieurs jours est infernale en raison de la poussière de verre que crée la meuleuse.

J’ai pourtant installé un extracteur d’air industriel au centre du carré, un gros aspirateur professionnel sur la meuleuse elle-même, et me suis équipé d’une combinaison intégrale pressurisée. Malgré cela, il m’est impossible de meuler plus de deux minutes, avant d’être aveuglé par le nuage de poussière qui se colle sur mon masque.

Après un gros travail de nettoyage, la reconstruction peut commencer. En premier lieu, je reconstruis et double l’épaisseur du bas des quatre cloisons qui ceinturent les quilles. Elles sont bien sûr imprégnées de gazole, mais surtout, absolument pas jointives de la coque. A certains endroits, l’espace vide est de 5 cm, ce que la strate de mat de verre masquait !

Je confectionne quatre varangues en contreplaqué de 45 mm d’épaisseur en trois plis de 15 mm, plus hautes et plus longues que celles d’origine, de sorte que ces nouveaux éléments de structure viennent coiffer les Omégas longitudinaux qui courent de chaque bord sous la ligne de flottaison, et qu’ils s’insèrent dans la structure intacte au centre du bateau. Tout est collé à l’aide de joints congés époxy.

La stratification à la résine époxy avec du biaxial de verre de (600 g/m² ; +45° ; -45°) me prend six jours complets. La masse nominale de verre est de 6,6 kg/m², soit 11 couches. Ca fait un bon centimètre d’épaisseur. Dans les amorces de quilles, incroyablement fines (1 cm d’épaisseur !!) je double la dose de verre.

Il me faut au total environ 40 kg de verre et autant de résine époxy pour mener à bien ce boulot. En gros, j’ai ajouté 100 kg de matière dans les fonds. 50 kg par quille. J’aurais pu mettre 1/3 de moins, mais bon…

Le perçage des 14 trous par le dessous pour remonter les quilles s’avère délicat. Je ne peux pas percer par-dessus. Je risque de ne pas retrouver les trous d’origine. J’y passe quatre mèches. L’épaisseur de stratification dans les amorces de quilles est maintenant de 3 cm, voir 3,5 cm aux deux extrémités des quilles. La stratification est bien sûr d’épaisseur dégressive de part et d’autre des deux quilles, de sorte de ne pas créer de point dur. La surface de répartition des efforts des quilles est maintenant de plus de 6 mètres carrés et la structure est homogène.

La reconstruction du carré s’avère un jeu d’enfant. Découpe de panneaux de contreplaqué neufs pour refaire des coffres, remontage des panneaux de façades récupérés, collage, stratification et peinture. Une fois tous les éléments d’aménagements remontés, la reconstruction du carré n’est pas perceptible. Rien ne le distingue de l’origine.

Le bilan financier s’élève à 7.000 euros environ en 2016. 1.500 euros de matériaux (verre, résine, consommables, contreplaqué, peintures) et tout le reste en factures du chantier. Les manutentions, la location du hangar, le déquillage et requillage, sablage et traitement époxy des quilles.

7 ans après cette reconstruction, absolument rien n’a bougé. Le bateau ne grince plus, mais également, il se montre beaucoup plus rigide en mer. Lorsque les vagues viennent taper à la gîte sur la quille au vent, il ne vibre plus.

Un échouage maladroit il y a trois ans lors d’un coup de vent aurait détruit notre Konsort tel qu’il était construit. Le bateau a tossé sur le sable dur pendant une demi heure, au milieu de la nuit, recevant de face des vagues de 50 cm. La girouette et l’antenne de la VHF fixées en tête de mat se sont arrachées sous la violence des rappels du Konsort, qui cognait d’une quille sur l’autre. Dans les fonds de coque, rien n’a bougé. Rien.

Ce gros travail n’était finalement que le début d’une rénovation qui dure toujours, saison après saison. Il a fallu ressortir le moteur et le rénover, en raison d’une traitresse fuite d’eau de mer, qui a pourri plusieurs carters. J’ai remplacé tout le gréement, courant comme dormant, les voiles, les hublots et j’en passe.

Bref, plus le temps passe, et plus je me dis que changer de bateau, c’est repartir sur de possibles grosses emmerdes, alors que j’ai assez confiance dans le fait qu’elles sont derrière nous avec ce bateau. Je me suis donc lancé dans une phase d’équipements, pour le futur programme de nav dans les Hébrides en Ecosse.

Premières photos à regarder en pleine définition, pour voir les déchirures de strat et la rupture au milieu de la varangue arrière.

12 fév. 2023

Bravo, quel superbe travail 👍😊

13 fév. 2023

Magnifique travail, bien des chantiers navals pourraient former leurs personnels chez toi !!!

13 fév. 2023

Oh que non, Arzak !

Il faut démystifier ce genre de boulot. C'est impressionnant, car on s'attaque à la structure, mais c'est en fait très peu technique et bien moins difficile que de faire une belle jupe, ou de reprendre un gros pet dans le bordé des œuvres mortes dans un endroit à la con comme le livet.

Le varanguage est un travail assez "bourrin", en fait. Il y a peu de technicité sur la reprise des strats, et aucun aspect esthétique à gérer.

J'ai par exemple rallongé mes flotteurs de trimaran par l'arrière. J'ai mis 10 fois moins de matière, mais j'ai bien plus galéré pour faire un moule, et une reprise qui devienne invisible après peinture.

15 fév. 2023

"Il faut démystifier ce genre de boulot" merci à toi de nous l'apprendre mais moi je suis toujours admiratif quand même !

Et surtout du boulot bien fait, quel qu'il soit !

(je n'ai jamais stratifié en vrai, juste fait de petites réparations)

17 fév. 202317 fév. 2023

Une petite anecdote de rien du tout, pour tuer le temps avant d’aller au boulot ce matin.

L’été 2022, nous avons décidé de faire une exploration systématique de la côte de l’île de Guernesey, dans les Anglos normandes. De mille en mille, nous avons repéré à pieds ou à vélo, tous les endroits où nous avions une chance de pouvoir poser les quilles du bateau, sans que l’aventure ne finisse en naufrage.

Nous sommes donc arrivés, après avoir mis une semaine à faire le tour de la partie Nord de Guernesey, soit 5 milles, au fond de Grand Havre, où se situe un improbable « port », constitué d’une digue submersible en enrochements derrière laquelle s’étend une bande de sable de 20 mètres de large, parsemée de gros pavés.

Si le vent n’avait pas été presque nul à notre arrivée, je n’aurais probablement pas réussi à faire demi tour et à culer le bateau convenablement, jusqu’à faire frotter les quilles et porter le mouillage arrière sur le sable sec.
Ne séjournent dans ce petit port que quelques plates, qui sont les annexes des bateaux de pêche professionnels qui restent au mouillage au milieu du havre, en pleine eau.

Ca ne faisait pas dix minutes que nous étions embossés, et pas encore posés, qu’une plate arrivant du milieu du havre a fondu vers nous, moteur à fond. A vingt mètres du bateau, j’ai commencé à distinguer le visage du gars qui se tenait debout, poignée de gaz à la main. Noir… le visage noir, totalement recouvert par une tête de mort tatouée, y compris dans le coup.

Déjà que j’ai davantage peur que mes enfants, devant un film de super héros grand public. Alors, autant vous dire que je n’en menais pas large, ma poitrine se serrait à mesure que la barque se rapprochait. Le mec avait l’air très fâché derrière sa tête de mort, et la vitesse à laquelle il est arrivé le long de mon bordé n’a pas été pour me rassurer.

Après tout, que vient foutre un froggy dans ce port trop petit pour lui et réservé aux annexes des pêcheurs professionnels ?

Et là en anglais : « bonjour, c’est un biquille ? Vous savez que ça va poser ? … J’étais inquiet pour vous, je préférais venir vous voir. Au revoir. »

Ouf !

« Ma chérie, tu peux sortir la bouteille de whisky, s’il te plait ? »

Deuxième photo : le champ de pavés dans la zone d'échouage !

19 fév. 2023

Merci tellement de bons souvenirs de navs dans ce coin fabuleux q!

22 avr. 202322 avr. 2023

Petites indélicatesses de vendeurs de bateaux.

La petite mésaventure qu’un copain ayant récemment acheté une belle unité d’occasion, m’a raconté ce matin même, m’en rappelle une autre.

Mon premier voilier de croisière acheté sur fonds personnels alors que j'avais 22 ans, est un Mousquetaire CMN, dont j’ai raconté les mésaventures maritimes. Il s’était ouvert en deux, au large de Guernesey et avait eu le bon goût d’attendre d’être au fond du port de St Peter pour se remplir au point de couler-bas.

Le vendeur de ce Mousquetaire mal échantillonné, était un commerçant de Saint Malo, très connu et assez fortuné.
Il m’avait vendu le bateau un samedi matin, la larme à l’œil : « tu sais, je vais en pleurer. Ce Mousquetaire était le voilier de mon père, dans la famille depuis 20 ans. J’en ai hérité et adore de bateau sur lequel moi et même mes enfants ont appris à naviguer. Je n’ai plus le temps de m’en occuper et préfère le céder à un jeune qui va en prendre soin ».

J’y avais presque cru, à son histoire. Mais l’état plus que moyen du bateau rimait mal avec ce discours d’amour envers le bateau. Et il n’y avait pas que la peinture de coque qui me faisait douter. De la barbouille de peinture antirouille sur le bois. Pas que cette peinture rouge mat soit mauvaise, mais il y a plus adapté pour une coque en contreplaqué aimée, que de la peinture antirouille à portail.

Le bateau était au chantier du Grand Val sur les bords de Rance. J’y retourne dès le lendemain de la signature pour prendre possession de mon bien et le faire mettre à l’eau dans la foulée. Arrivé à bord… tout avait disparu des coffres. Plus une aussière, plus un pare battage, plus de mouillage.
Interrogé, le patron du chantier me déclare qu’il a vu « le propriétaire » venir charger sa voiture de ce matériel la veille au soir.

Ce n’est pas que ce vieux matériel était cher, mais j’étais un étudiant totalement désargenté et n’avais absolument pas les moyens de le racheter. Appelé au téléphone, le vendeur me répond sèchement que nous n’avions pas discuté ses points particuliers, et qu’il était donc dans son bon droit de venir se servir à bord après la signature et le paiement du bateau.

C’est quelques mois après cette mesquinerie de la part d’un type fortuné, que le Mousquetaire s’est ouvert en deux.
Le démontage des coffres sellés contenant un reste de polystyrène pas à même de maintenir le bateau à flot si nous n’étions pas rentrés à temps dans le port de St Pierre, a fait apparaitre un masquage lamentable d’un premier accident. Le bordé de fond avait déjà été déchiré le long de la pièce de quille. Une grande planche en contreplaqué était simplement vissée par l’intérieur, en biais entre la pièce de quille et le bordé. Elle n’était absolument pas jointive du bordé, pas collée, et ce bricolage avait encore affaiblit le bordé de fond d’une vingtaine de trous de vis, qui affleuraient la surface extérieure. Cependant, un rapide coup de mastique par l’extérieur avait masqué la fissure, que je n’avais donc pas vue à l’achat.

Un parfait exemple de vice caché sous la mousse d’insubmersibilité du bateau.

Le Mousquetaire est entré en réparation pour une réfection totale des fonds et un renforcement de la structure dans un célèbre chantier de Saint Malo. Et il se trouve que ce chantier était juste en face des bureaux de l’entreprise de mon vendeur !
Alors je suis allé le voir pour l’interroger.
Et là, droit dans ses bottes, ce type m’a raconté qu’il ne connaissait pas ce bateau, « acheté peu avant » et revendu faute d’en avoir l’usage !

Quant à l’indélicatesse du vendeur du voilier acheté par mon pote, c’est assez fort.

Ce monsieur a acheté la nouvelle version du même voilier, neuf, facturé pas loin de 400.000 euros sortie chantier. Et ce, avant d’avoir vendu son précédent bateau. Et bien, plus d’un mois après la vente, disposant toujours manifestement d’un double des clés du bateau vendu, il est allé le vider de tout l’équipement dont il avait besoin pour son unité neuve tout juste livrée ! Et pas que des bricoles, je vous assure !
Pourtant, la négociation avait bien précisé que tout ce qui était présent dans le bateau lors de la visite y resterait. Il n'y avait plus aucun effet personnel. Le bateau était hiverné sur terre plein.

PS : Je rappelle que l’objet de ce fil est juste de raconter des histoires vécues. Donc je vous prie de ne pas réagir ici à l’histoire que mon pote gère en ce moment même ! La mienne est prescrite, et à postériori, 30 ans plus tard, je suis bien content de l'avoir vécue. J'y ai gagné en expérience et ai rencontré des gens formidables, qui m'ont aidé à réparer et à ramener le bateau à bon port en sécurité.

Photo de la réparation de fortune que j'ai effectuée à Guernesey, m'ayant permis de rejoindre Saint Malo.

22 avr. 2023

@VL35 il m'est arrivé quasiment la même mésaventure avec un Corsaire, même vice caché, mêmes conséquences...
Je viendrai la raconter ici un de ces jours...

06 juin 2023

Tout le monde l’appelait Chap'.

J’avais fait sa connaissance chez un copain, voileux aussi. Ils s’étaient rencontrés aux cours pour le permis hauturier et se retrouvaient une bonne heure à la piscine municipale le dimanche matin pour entretenir leur forme.

À l’époque, ce vieux monsieur très digne avait déjà plus de 70 ans.
Grand, une belle allure et une distinction que démentait à peine un regard malicieux, mais bienveillant, il m’avait coopté dans notre petit groupe d’amis.

Je passais régulièrement chez lui. Avec l’âge, il sortait moins et appréciait les visites. Il parlait beaucoup, ce qui ne me gênait pas. Dans ma logique, les jeunes ont plus à apprendre des anciens que l’inverse. Sa culture, son vocabulaire et ses anecdotes rendaient la chose plaisante.

Chap’ était le résultat d’un improbable métissage : né à Tunis d’un père français de petite noblesse et d’une mère maltaise. On donnait d’ailleurs leur nom de famille au quartier français de Tunis.
Je ne lui jetterai pas la pierre, mais il faut reconnaître que naître en Tunisie en 1919 n’était pas forcément une brillante idée.

Polyglotte, il parlait le français, le maltais et l’arabe de la rue. Il s’en amusait, narrant comment il avait remis à leur place ceux qui croyaient qu’il ne comprenait pas leur langue, à l’occasion d’une croisière le long des côtes d’Afrique du Nord par exemple.
Au fil de ses aventures, il avait appris l’anglais, qu’il me semblait bien maîtriser, et l’allemand qu’il parlait avec un accent « à débiter à la hache »…
Lorsqu’il évoquait sa « formation professionnelle », il disait avoir fait « Crêve-cœur ».
C’est-à-dire : 39-45.

À 20 ans, après quelques stages peu convaincants dans le cabinet d’un avocat, il s’était retrouvé à Cherchell. Pas à Saint-Cyr, hélas, et ce manque de légitimité semblait avoir passablement prétérité sa carrière d’officier. Il était dans la cavalerie, c’est-à-dire les blindés légers. Avec lesquels il avait accompagné pendant plusieurs années l’armée de Delattre. Pas celle de Leclerc, il tenait à le préciser !

Au rang de ses pérégrinations figuraient rien moins que la Campagne d’Italie, le débarquement en Provence, et un petit détour par la forêt de la Hardt qui l’avait marqué. Il me disait avec cet inimitable accent pied-noir : « Tu te rends compte, Jef, au matin il n’y avait plus un seul arbre debout ! »

Pour ses hommes, il était « mon lieutenant ». Pour sa hiérarchie : « Montméjean », son deuxième nom de famille.

S’il parlait peu de son enfance, son départ pour la guerre faisait aussi partie de ses souvenirs marquants. Prenant son père dans ses bras, il lui avait dit : « Papa, si je devais ne pas revenir… » Son père : « Hé bien, tu auras fait ton devoir… »

Il concluait ce passage en rappelant la devise de sa famille : « Ne déroge jamais ».

Loi du vainqueur oblige, il avouait sans honte avoir goûté aux Italiennes et aux Allemandes, veuves de guerres ou dont les maris avaient disparu.
C’était une autre époque et je suppose qu’une jeune mère de famille allemande préférait servir de petit-déjeuner pendant quelques jours à un jeune officier français que de faire intimement connaissance de tous ses zouaves…

Ne tombons pas dans le piège de juger les actes du passé avec la morale d’aujourd’hui.

Marié trop jeune juste avant de partir au front, il avait divorcé aussi vite à son retour. Certaines expériences ne permettent guère de tenir les promesses faites des années plus tôt dans un excès de confiance.

1946 l’avait vu s’engager comme attaché d’ambassade en Tchécoslovaquie. En clair : entre deux parties de jambes en l’air avec une quelconque femme d’ambassadeur, histoire de maintenir l’excellente réputation du corps diplomatique français en la matière, ce jeune gars frondeur que rien n’arrêtait faisait sortir des transfuges qu’il accompagnait en Autriche ou parfois jusqu’en France.

Lorsqu’il avait appris que la StB le recherchait, il avait sauté avec une seule valise dans le premier avion. Qui l’avait amené en Suisse.

N’ayant rien de mieux à faire, se disant que ce pays lui semblait paisible et qu’il était peut-être temps d’arrêter ses clowneries, il était resté là.

Son culot, mais aussi sa prestance et son bagout l’avaient poussé à devenir marchand de vin. Il me racontait les mois de ses débuts, ses kilomètres à pied d’un village à l’autre entre Bienne et Soleure, entre Lyss et Berne, etc.
Il s’arrêtait lorsqu’une maison lui plaisait, révélant la réussite de son propriétaire, de préférence industriel, avocat, notaire ou restaurateur.

Au fil des ans, il s’était constitué un joli carnet d’adresses qui lui valait une situation, si ce n’est enviable, du moins confortable.

Après quelques années, il avait même obtenu un permis de séjour pour sa mère et sa sœur. Les deux s’étaient éteintes paisiblement en Suisse. Il vénérait sa sœur, partie hélas bien trop tôt. J’avais fini par comprendre que si la cigarette donnait l’impression d’une certaine prestance, le petit crabe qui l’accompagnait trop souvent avait raccourci bien des vies.
Il me racontait sa sainte colère, lorsqu’elle avait découvert scotchés à l’intérieur des portes de la penderie de son frère les quatre calendriers qu’il tenait méticuleusement à jour, méthode Ogino oblige. « Espèce de gougnafier, ne va pas nous faire un petit ! » Il la narguait : « Tu seras sa marraine, je sais que tu t’occuperas bien de lui. » « Jamais ! »
Surjoués, ses accès témoignaient de l’admiration qu’elle conservait quoiqu’il advienne pour ce frère si séducteur.

Il avait évidemment gardé des contacts en France et en Afrique du Nord, des militaires bien sûr, mais aussi des navigateurs. La voile était une de ses autres grandes passions.

Il parlait à demi-mot de ce compte en Suisse qu’il avait ouvert à la demande d’un éditeur réputé afin de camoufler une partie des royalties d’un écrivain-chanteur-navigateur. Son côté plus malicieux qu’anar y trouvait son bonheur, à toujours jouer avec les limites.

Il gardait un peu d’amertume pour la France, considérant que lorsque l’on voyait ce que ce pays était devenu, le sacrifice de tous ses jeunes copains n’en valait rétrospectivement vraiment pas la peine. Il traitait ces politiciens de jean-foutre, dans le meilleur des cas.

J’étais un des rares de notre petite équipe de copains qui ne lui avaient jamais demandé le moindre centime. Je le savais plus que généreux, mais c’est comme ça : je ne mélange jamais affaires et amitiés, et je crois que c’est aussi ce qu’il appréciait.

Toujours lucide et jamais complaisant, il considérait avec un détachement amusé son espace qui se réduisait. Avec les années et les copains qui ne le remboursaient jamais, il déménageait dans des appartements plus petits.

Il aimait donner, j’ai fini par accepter son encyclopédie Nauticus complète, plus pour lui faire plaisir que par réel besoin. Il y a 15 ans, ces conseils aux navigateurs étaient déjà bien datés.

Il aimait les armes et avait réussi je ne sais comment à garder un de ses pistolets d’officier, un Remington type 1911 en .45 ACP.
Il m’avait raconté comment il avait échangé ce 1911 contre… sa pipe en bois (!) L’approvisionnement en pièces de rechange pour les blindés était plus que difficile vers la fin de la guerre. Ses soldats, français et nord-africains, avaient une réputation justifiée de chapardeurs, ce qui avait le don d’agacer les alliés britanniques et U.S. La discussion s’était envenimée avec un officier américain qui n’avait pas apprécié de voir ses chars dépouillés, au point que l’Américain avait fait mine de sortir son Colt. Chap’ avait été plus rapide : il avait pointé sa pipe et crié : « Pan ! ». Les autres Américains présents avaient dû admettre que c’était bien joué (« He got You ! ») et s’en était donc suivi cet échange improbable d’un 1911 contre une bouffarde.

J’avais repris le tir à l’époque, mais je n’étais pas encore moniteur, ce qui fait que nous ne sommes jamais allés tirer ensemble. Ce n’est pas une catastrophe. J’ai appris l’âge venant que les souvenirs sont parfois plus valorisants que ne saurait l’être la réalité.

Il avait fait encore quelques croisières d’automne en famille avec son copain nageur. Il y jouait les grands-pères, un rôle qu’il prenait à cœur.
Il avait ses lubies : il emportait toujours en croisière ses assiettes « marines » en mélanine.

Des assiettes blanches de marque Waca, avec des bateaux moches dessus : frégate, vaisseau de ligne, galion…

Lorsqu’il s’était rendu à l’évidence qu’il ne naviguerait plus, il me les avait offertes. J’avais dû lui faire la vague promesse de les prendre un jour à bord. Quoique, à force de différer mon départ, je ne sais pas si j’y croyais vraiment.

Chap’ est mort seul chez lui à 91 ans, une veille de Noël.
Ses assiettes moches sont désormais dans la cambuse de mon petit voilier, en route depuis quelques mois entre Bretagne, Madère et Canaries.

Je t’avertis charitablement : si je devais un jour t’inviter pour un apéro à bord, dispense-toi de toute allusion au sujet de mes assiettes moches. Sinon je te raconterais l’histoire de mon copain Chap’. Ça durerait des plombes et un certain nombre de fonds de bouteille de mes meilleurs whiskies n’y survivraient pas. ;-)

Printemps 2023, rédigé en route entre Sada, Nazaré, Porto Santo et Canaries

20 août 2023

👍👍👍

20 août 2023

Merci pour cette belle;histoire 😊😊😊

06 juin 2023

Merci Jef pour cette histoire. Je viendrai avec plaisir manger des amuse-gueule dans tes assiettes moches 😊

06 juin 2023

Moi aussi !
Jef tu viens de créer le heo club des assiettes moches !😆

07 juin 202307 juin 2023

Nos petits voisins de mouillage sont tout mignons. Ils nous font penser à ce qu’on était il y a 30 ans. Ils ne se lèvent pas bien tôt, alternent un peu de bricolage, quelques sorties à terre pour faire des courses et on les voit sous leur taud siroter leur ti ponch au coucher du soleil.
Comme on n’ est que 2 bateaux mouillés, et comme ils sont sous pavillon polonais, pavillon des français débrouillards, on n’a pas tardé à sympathiser autour d’un verre.
Ils sont tout à fait comme on le pensait.
Peu argentés, débrouillards, ils sont partis de France depuis 7 ans et vivent de petits boulots. Essentiellement à donner des coups de mains pour l’entretien des bateaux « riches ». Antifouling, peinture, vernis, petits travaux divers.
Ils sont d’un abord très avenant, très ouverts, parlent plusieurs langues et ont vécu un peu partout dans le monde. Leur conversation est riche et on les soupçonne d’avoir fait des études poussées de part leur connaissance des auteurs classiques et philosophes. On peut donc autant parler de navigation, de travail du bois, de l’évolution de la pensée de Michel Onfray ou des poèmes d’Omar Khayyam .

Ils ont un superbe Garcia, dériveur intégral.

Ils nous ont raconté que c’était leur première navigation avec.

Depuis 7 ans, ils naviguaient sur le vieux « rêve d’Antilles » construit par un des papa dans les belles années post 1968 ou on assemblait des tôles dans le fond de son jardin pour un jour partir au soleil. Bateau solide, mais qui avait « vecu » et dont certaines tôles tenaient sans doute grâce aux multiples couches de peinture qu’elles avaient reçu au cours de leur longue existence.

Sur la route de Panama, ils s’étaient arrêtés à Spanish Harbour, sur Curaçao, un peu pour l’escale, beaucoup pour espérer trouver un chantier naval ou ils pourraient glaner quelques travaux afin de remonter la caisse du bord.
Ils étaient mouillés à coté de ce beau Garcia muni d’un bel écriteau « A Vendre » qui néanmoins nécessitait quelques travaux de cosmétique. Peinture de coque à refaire, carénage et antifouling, un peu de plomberie.
Rapidement, la propriétaire leur proposa d’effectuer les travaux et éventuellement de faire visiter le bateau à des acheteurs potentiels pendant qu’elle retournait à ses affaires en Europe.

Ils travaillèrent dessus. Plomberie neuve, peinture de pont, de coque, passes coques neufs… La propriétaire réglait ponctuellement les factures. Tout se passait bien, la caisse du bord remontait peu à peu au fil des mois.

Tout se passait bien pour eux mais pas pour cette pauvre propriétaire qui ne recevait pas d’offre. Bateau en alu, pas tout neuf, situé à Curaçao… pas vendeur.

Un jour, ils la virent arriver.
- « Bon, mon bateau est en vente depuis plus d’un an. Je n’arrive pas à le vendre, le voulez vous ? 
- Euh, c’est un très beau bateau, mais au prix ou vous souhaitez le vendre, c’est inabordable pour nous. On ne peux même pas en rêver .
- Mais qui vous parle de prix. Vous me plaisez, je vous le donne.
- ??????

Ils se sont donc retrouvés propriétaires d’un superbe Maracuja. Ont donné (ils ne pouvaient décemment faire moins) leur rêve d’Antilles à 3 de leurs copains. Et vogue la Galère, en route pour Panama et le Pacifique.

07 juin 2023

Très belle histoire de générosité, merci.

22 août 2023

Belle histoire, merci. D'une manière générale quand on voyage, avoir ce je ne sais quoi qui inspire la bienveillance de la part de ses congénères bipèdes peu importe leur culture, couleurs de peau ou langue vaut souvent autant ou même mieux que toutes les assurances et compétences techniques du monde.

01 jan. 2024

Hier soir, comme c’était le 31 Janvier, on est allé diner avec l’autre bateau mouillé dans la baie dans le petit resto devant lequel on est.

Un jeune couple d’autrichiens d’une quarantaine d’années sur un 50’ acier de 40 tonnes, coque construite par un chantier au Canada, et finition amateur.

C’est leur nouveau bateau, car le précédent a coulé.

Ils avaient acheté à Tahiti un Sun Magic 41 expertisé, dans un état moyen, mais très peu cher et ont décidé, plutôt que de le remettre en état à Papeete ou la vie est très onéreuse, de partir tranquillement en Nouvelle Zélande pour y faire les travaux nécessaires.
Tout se passait bien pendant les premières navigations quoi que des problèmes apparaissaient peu à peu.
Ils retrouvaient régulièrement les fonds plein d’eau, les pompes ne marchaient pas toujours, le gréement, bien que tendu, se retrouvait très souple à la moindre survente, la barre était souvent dure et le moteur anémique.
Navigant portant dans l’alizé, tous ces symptômes, bien qu’inquiétants, ne les alarmaient pas outre mesure. Ils notaient et imaginaient les travaux qu’ils feraient lors de leur arrivée à Aukland.
C’est en repartant de Souvarov, atoll situé entre les Iles sous le vent et les Samoa que les problèmes s’accrurent.
Prévenant les secours de NZ, ceux ci leur envoyèrent une aide sous la forme d’un voilier assistant qui les aida à effectuer quelques réparations d’urgence (retendre les haubans, fourniture d’une pompe …), mais à 200 miles des Samoa, dans 25 kn d’alizé, la coque commença à se délaminer et à s’ouvrir entre 2 passe coque des WC avant.
A chaque vague, le mat bougeant, la tension des haubans ouvrait de plus en plus la coque et les pompe n’étalaient plus.
Ils décidèrent alors de rappeler les secours NZ qui leur envoya un chalutier Samoan sur lequel ils embarquèrent en abandonnant leur bateau.

Ils n’étaient néanmoins pas sauvés, car ces pêcheurs en début de marée se firent tirer l’oreille pour aller les débarquer à Pago Pago. Ils auraient préféré les garder à bord 15 jours, le temps de remplir les cales de thon plutôt que de perdre 3 jours de pêche. Il fallu l’intervention « musclée » de la marine Néo Zélandaise, promettant une plainte auprès des tribunaux maritimes si le capitaine pêcheur ne les débarquait pas promptement dans le premier port abordable.

Ils repartent donc aujourd’hui (s’ils se réveillent après les mojitos et vin blancs d’hier soir), vers l’ile Coco et la Polynésie sur leur coffre fort en acier.

www.sail-world.com[...]/112929

01 jan. 2024

Decouvert sur Youtube un jeune homme sympathique parti solo autour du monde à la rencontre des autres, sur un 13 m en ferro-ciment.
www.theworldface.com[...]/
Il était cet été au Groenland

01 jan. 202401 jan. 2024

Ce n'est pas le seul Sun Legend 41 à avoir mal fini, bien que le bateau soit très bon.
En voici un autre.
Ce bateau abandonné au mouillage par son propriétaire a été mis à la plage lorsque que son mouillage a chassé.
Le propriétaire, contacté par les villageois, a refusé que le bateau soit remis à l'eau...
Deux ans séparent l'échouement (la dernière image) des 3 photos de l'épave peu avant la récupération du mât (2002 et 2004)
Je ne sais pas ce qu'est devenu la coque.

01 jan. 2024

Je constate qu'il y a un opus 14 des histoires de mer.

www.hisse-et-oh.com[...]-mer-14

01 jan. 2024

Ah, zut, je ne m'en souvenais pas. Bon, je remets sur le 14 et demande à un modo de fermer le 13.

01 jan. 2024

C'est pas grave Ed, on suit depuis le premier ! Pis même si hier était le 31 décembre et non janvier, qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse : merci à toi, à Polmar et à tous ceux qui partagent de belles ivresses maritimes !
Une bonne année à tous.
Saadi

2015-08-02 - Entre Canna  et Tobermory (Ecosse)

Phare du monde

  • 4.5 (168)

2015-08-02 - Entre Canna et Tobermory (Ecosse)

2022