Naufrage du voilier-école de Smet de Naeyer - suite 14 - jeudi 18.

Je vous avais parlé des Séances qui eurent lieu à la Chambre des députés en 1906, suite au naufrage du navire-école.
Tous les intervenants sont soit des ministres soit des députés.
Les séances de l'époque étaient polies mais musclées comme on va s'en rendre compte...
L'article de ce jour y est consacré / demain je publierai les conclusions contenues dans la thèse de l'étudiante de 4ème année publiée en 2006:

Suite des Séances à la Chambre des Députés belges - 25 avril 1906 (6 jours après le drame).

M. Vandervelde. — Messieurs, hier, j'ai exprimé mon étonnement de ce que le gouvernement n'avait pas cru devoir faire des recherches immédiates pour connaître le sort des naufragés du navire-école, on m'a répondu que ces recherches étaient difficiles; qu’on espérait que le Dunkerque arriverait à Hambourg aujourd'hui. Nous nous trouvons aujourd'hui dans la même incertitude qu'hier et les familles doivent passer en ce moment par d'intolérables angoisses.
On nous a parlé d'une seconde barque, on a annoncé ce matin qu'elle était arrivée à bon port. Il n'en est malheureusement rien, mais il reste une lueur d'espoir, et dans ces conditions j'adjure le gouvernement de faire des recherches. On devrait demander au gouvernement français pour mettre des torpilleurs à la disposition du gouvernement belge (Très bien! sur les bancs de l'opposition.)
M. de Favereao, ministre des affaires étrangères. — Messieurs, je crois qu'il est difficile d'introduire une demande formelle en ce sens. (Protestations à gauche.)
M. Delporte. — On enverra les pompiers quand la maison sera consumée !
M. de Favereao — Il me paraît évident que les recherches ne pourront se faire utilement que lorsqu'on aura des indications précises sur le naufrage, l'endroit où il s'est produit... [Nouvelles protestations sur les bancs des gauches.)
M. Vandervelde. — Je regrette la réponse qui vient de m'être faite. Nous avons pu lire ce matin dans les journaux qu'étant donnés les vents actuels, il est possible que le Dunkerque mette plusieurs jours avant d'atteindre Hambourg. Il est évident que si on attend si longtemps, les recherches deviendront inutiles.
(Très bien! très bien! à l'extrême gauche. — Murmures à droite.)
M. de Smet de Naeyer, ministre des finances et des travaux publics. — Le naufrage du navire-école s'est produit il y a huit jours, en pleine mer, mais, heureusement...
M. Ocstrée. — Heureusement?
M. de Smet de Naeyer, ministre des finances et des travaux publics. — ... dans des parages sillonnés par de nombreux navires. Puisque un certain nombre de naufragés ont pu se réfugier sur un canot et être recueillis par le Dunkerque, il nous reste quelque espoir que d'autres ont trouvé le salut sur un autre canot et ont rencontré aussi un navire qui les aurait pris à son bord tout en poursuivant sa roule.
Si le sinistre s'était produit à proximité de la côte, ou si nous en avions été informés plus tôt, le gouvernement se serait adressé immédiatement à Paris ou à Londres. Mais comment peut-on faire explorer la mer au hasard, sur des indications vagues et hypothétiques?
Il faut envisager la situation telle qu'elle est, si douloureuse soit-elle.
M. Pépin. — En attendant, on ne fait rien.

Séance du 27 avril 1906 (8 jours après le drame).

M. Buyl. — On annonce dans les journaux que le navire Dunkerque ramenant les escapés du naufrage du navire-école, arrivera bientôt à Hambourg.
Je demande au gouvernement qu'il veuille dès à présent déclarer qu'une enquête sera ouverte au sujet de ce pénible accident et que les résultats de cette enquête seront communiqués le plus tôt possible au parlement.
M. Francotte, ministre de l'industrie et du travail. — Messieurs, quand nous connaîtrons les causes de l'accident, nous pourrons décider s'il y a lieu de procéder à une enquête... (Exclamations à l'extrême gauche.)
M. Destrée. — Mais comment les connaitrez-vous si vous ne faites pas une enquête?
M. Francotte, ministre de l'industrie et du travail. — Une simple information nous les apprendra. Et si les renseignements recueillis ne suffisent pas, il y aura lieu d'ordonner une enquête. Pour le moment, il serait prématuré de prendre une décision. (Réclamation sur les bancs de l'opposition.)
M. M. Terwagne. — Messieurs, il ressort des paroles du ministre que le gouvernement est en train de réunir des documents relativement au naufrage. Nous croyons que nous devrions pouvoir les consulter (Protestations à droite.)
M. Gielen. — Laissez donc au moins arriver le navire à Hambourg!
M. M. Terwagne. — Il n'y a aucune bonne raison pour nous cacher les documents de l'enquête. (Approbation à l'extrême gauche.)
M. M. Terwagne. — Nous demandons la lumière. (Bruit.)
M. Slymans. — M. Buyl a demandé une chose très raisonnable. Il faut évidemment que dès que le navire portant les naufragés sera arrivé à terre, une enquête soit ouverte sur ie-champ, pour que le pays et nous-mêmes soyons renseignés sur les causes de la catastrophe. L'enquête a pour but d'établir ces causes et de faire connaître toutes les circonstances qui ont présidé à l'entreprise : qui dressa les plans, à qui remontent les responsabilités, etc. Ces questions doivent être soumises à une enquête globale que le pays réclame (Très bien! à gauche.)
M. Buyl. —La droile a tort de protester, d'autant plus qu'elle a gravement manqué à son devoir le jour où mon collègue, M. Van Damme et moi, nous avons insisté pour pouvoir développer notre interpellation avant le premier départ. Si les membres du parlement avaient su ce que nous savions, ils se seraient joints à nous pour s'opposer au départ du bateau. Mais il nous a été impossible de le faire, notre interpellation n'ayant pu avoir lieu qu'après le départ du navire-école et, si nous n'avons pas cru devoir tout révéler, c'était pour ne pas jeter l'alarme et l'angoisse dans les familles. (Vives protestations à droite.)
M. Liebaert, ministre des chemins de fer, postes et télégraphes. — Et vous n'avez rien dit, monsieur Buyl, avant le second départ du navire? Vous l'avez laissé partir sans révéler votre secret ?
M. Carton de Wiart. — C'est M. Buyl qui a manqué à son devoir en ne signalant pas avant le second départ les graves critiques qu'il prétend connaître. (Bruit.)
M. Buyl. — L'honorable ministre des chemins de fer semble me reprocher de n'avoir rien dit après le retour du bateau. Or, mon collègue M. Van Damme, a immédiatement après le retour du bateau, posé une question au gouvernement et celui-ci, avec son habituelle désinvolture vis-à-vis de l'opposition, s'est moqué de lui. ( Violentes protestations à droite.) Voilà la vérité.
M. Verhaegen. — C'est un véritable scandale de faire une parade électorale sur des cadavres!
M. Buyl. — Je dis que l'attitude de certains membres de la droite est extraordinaire ; Parmi ces membres se trouvaient MM. Woeste, Helleputte et Tibbaut. Oui, ils se sont moqués de M. Van Damme lorsque mon collègue et ami insistait...
M. Renkin. — Vous jouez du cadavre. C'est scandaleux ! ( Violentes protestations sur les bancs de l'opposition.)
M. Désirée. — Il est plus scandaleux d'en faire !
M. Renkin. — Ayez donc le respect de la mort.
Si. Beernaert. — C'est odieux !
M. Buyl. —Nous avons insisté pour pouvoir développer notre interpellation ; celle-ci a toujours été ajournée, de sorte qu'elle n'a pu être présentée avant le premier départ. Voilà le fait!
Nous aurions communiqué au parlement des détails des plus intéressants, et nous lui aurions montré les conditions mauvaises dans lesquelles se faisait ce départ. On jugera sévèrement la façon lamentable dont a été engagée l'œuvre du navire-école.
M. Carton de Wiard. — Il fallait le dire avant le second départ. Si vous ne l'avez pas fait, c'est vous qui avez manqué à votre devoir. (Très bien ! à droite. )
M. Woeste —M.Buyl déclare qu'il nous ferait connaître les conditions déplorables dans lesquelles le navire-école a pris pour la seconde fois la mer. Messieurs, si le député Buyl a eu connaissance de ces conditions, son devoir était de les faire connaître; il a manqué à ce devoir ! (Bruit intense à gauche. —Applaudissements adroite.)
M. M.Terwagne.— Vous avez, messieurs de la gauche, une grande responsabilité dans ce malheur. (Hou! hou! à gauche) ;
M. Lorand. — Messieurs, il n'y a peut-être qu'un seul homme dans cette Chambre qui soit compétent en matière de constructions navales : cet homme est mon ami Mr Van Damme. Et il est scandaleux que l'on n'ait eu pour ses avertissements que l'accueil dédaigneux qu'on nous a rappelé.La demande d'enquête se justifie abondamment. II ne faudrait pas que, sous prétexte de faire procéder à une enquête, le gouvernement parvînt à esquiver le débat qui doit faire la lumière. Il faut que l'opinion publique puisse juger des responsabilités encourues. Je demande donc que le gouvernement nous fournisse l'occasion de discuter les causes du malheur qui vient de coûter la vie à tant de jeunes gens et que nous puissions discuter les négligences graves qui semblent y avoir contribué. (Très bien! à gauche.)
M. Francotte, ministre de l'industrie et du travail. —J'affirme qu'aucune précaution n'a été négligée ni de la part de l'administration du département, ni de la part du,comité de surveillance, ni de la part du gouvernement ; je l'affirme et je le prouverai. (Très bien ! à droite. — Bruit à gauche.) Je rappelle sommairement que les plans ont été conçus par des ingénieurs anglais dont j'ai donné les noms et dont la haute compétence n'est contestée par personne.
M. Hymans. — Qui a modifié ces plans?
M. Francotte, ministre de l'industrie et du travail. — On ne les a pas modifiés. (A gauche : Si, si. — A droite : Non, non.) On n'a pas modifié, dis-je, les plans dans leurs éléments essentiels. (Ah! ah! à gauche. — Tumulte.) Quand on change l'emplacement des cabines, on ne modifie pas les plans, quand on introduit certaines installations nouvelles, on change les dispositions intérieures, on ne modifie pas les plans dans leurs conditions fondamentales.
Ces plans, avec les modifications, ont été conçus et réalisés par des ingénieurs anglais dont, je le répète, l'autorité et la science sont partout reconnues.
Ce navire a été exécuté par l'un des chantiers anglais les plus réputés : par préférence vis-à-vis d'autres chantiers dont les prix étaient moins élevés.
La construction du navire, sa mise à l'eau, son voyage de Greenock à Anvers ont été contrôlés par l'administration du Lloyd anglais. Les autorités navales anglaises ont donné à ce navire la cote la plus élevée qui puisse être obtenue. (Interruptions à gauche.)
Le gouvernement a fait examiner par ses fonctionnaires les affirmations des autorités et des ingénieurs anglais. Le rapport a été communiqué dans son entier à l'association maritime et au commandant Fourcault. Le navire n'a mis à la voile qu'après que toutes les vérifications eussent été faites, toutes les assurances données, toutes les garanties prises.
Il est une démonstration bien plus décisive que celle que je viens de présenter, ce sont les résultats constatés au cours du premier voyage. Le navire a été confié au commandant Fourcault. Celui-ci a écrit de Funchal une lettre dans laquelle il constatait que le navire s'était parfaitement comporté et qu'il présentait toutes les garanties de stabilité désirables. Le navire a continué sa route de Funchal à Valparaiso. Il a traversé à deux reprises, à l'aller et au retour, les parages redoutables du cap Horn. Il a rencontré de violentes tempêtes. Il a subi des épreuves extrêmes : et de Valparaiso le commandant Fourcaut, écrit encore — ses lettres sont à mon dossier — que le navire a résisté aux pires tourmentes, qu'il offre toute sécurité. Enfin, le rapport qu'il a remis dès son retour à l'association maritime présente les mêmes constatations.
J'ai vu personnellement le commandant Fourcault, à trois reprises : je l'ai entretenu de ce point si important.
Il se plaignait, non sans quelque humeur de ce que le navire marchait trop lentement, mais il insistait sur ce qu'au point de vue de la sécurité, il ne présentait pas de défaut ; il m'a redit plusieurs fois que je pouvais chasser toute inquiétude.
Il reste à savoir comment l'accident s'est produit et quelles en sont les causes.
Et que nous dit aujourd'hui M. Buyl? Qu'il connaissait des circonstances terribles qu’ il n’a jamais révélées : il les réserve pour son interpellation prochaine, nous les connaîtrons alors que le malheur est consommé. Eh bien, si, possédant des secrets aussi graves qu'il le dit, M. Buyl les a gardés pour lui, il a commis un abominable crime. (Très bien ! très bien ! à droite.)
Comment! alors que tout le monde, capitaine, officiers, cadets et matelots chantent les louanges du navire, M. Buyl se tait ! Au moment où tout le monde se réjouit de voir le navire préparer son second départ, au moment où la vie déborde sur le bateau en partance, M. Buyl sait le danger qui menace de nombreuses existences et il ne dit rien ! Il tient son dossier fermé! Si ce que M. Buyl dit est vrai, je ne voudrais pas porter la responsabilité qui pèse sur ses épaules. (Très bien! à droite.)
Voici le libellé de la question que me posait M. Van Damme, le 11 janvier 1906 : « Notre navire-école le Comte de Smet de Naeyer vient de rentrer au port d'Anvers et nous saluons avec bonheur son retour dans la patrie belge. Ce premier voyage, prélude d'un grand développement maritime, osons-nous espérer, s'est accompli dans d'excellentes conditions.. »
Van Damme. — Mais oui, je l'ai dit et je le dirai encore : cela était vrai.
M. Francotte, ministre de l'industrie et du travail. — Et M. Van Damme était tellement satisfait des conditions excellentes dans lesquelles s'était fait le premier voyage qu'il ajoutait : « L'équipage s'est vaillamment comporté. MM. les professeurs ont fait preuve de tact et de capacité et les élèves ont montré une grande ardeur au travail. Tout cela est d'un bon augure pour l'avenir. Dès maintenant on peut espérer que notre pays possédera un jour une flotte digne de ses richesses industrielles et commerciales. En présence des résultats déjà acquis, les ministres compétents ne pensent-ils pas qu'on peut songer, sans plus tarder, à la construction d'un navire-école marchant à voile et à vapeur, espèce de comptoir ambulant allant montrer nos produits et le pavillon belge dans tous les grands ports du monde ? »
Pas un reproche, pas une réserve...
H. Francotte, ministre de l'industrie et du travail. — Pas un mot de ce terrible secret dont, avec M. Buyl, il garde le dépôt. Il fait des compliments au navire, et à l'en croire aujourd'hui, il savait que le navire présentait les plus grands dangers.
Bien mieux, messieurs, il souhaite le développement de notre marine nationale; il voudrait tout de suite un second navire : le gouvernement est invité à construire immédiatement un second navire, un navire mixte, celui-là, tout à la fois à voiles et à vapeur.
M. Buyl. — A entendre le ministre de l'industrie et du travail, il serait inexact que mon collègue M. Van Damme et moi-même nous aurions insisté à différentes reprises pour développer notre interpellation avant le départ du navire-école. J'ai sous les yeux les Annales parlementaires, et voici notamment comment s'exprimait l'honorable M. Van Damme à la séance du 9 décembre 1901 :
« M. Van Damme. — Messieurs, j'étais inscrit pour adresser une interpellation à M. le ministre du travail; mais on m'annonce que la Chambre pourrait se séparer avant le 25 de ce mois. Comme il est probable que mon tour de parole ne pourra venir d'ici-là, je demande à la Chambre de m'accorder un tour de faveur, soit par exemple, mardi ou mardi en huit. Je suis, je le répète, d'accord avec M. !e ministre.
...............Et alors, messieurs, M. Tibbaut voulant évidemment se montrer désobligeant vis-à-vis de M. Van Damme, suscite un incident au cours duquel j'ai dû... (réclamations et rires à droite) ... secouer un peu M. Tibbaut. (Rires sur les bancs de l'opposition.)
M. Tibbaut. — Faire le poissard ! (A l'ordre ! à l'ordre! à l'extrême gauche.)
M. Smeets. — On a dit poissard, en parlant de M. Buyl.
M. le président. — Je prie M. Buyl d'attendre un instant et j'invite M. Tibbaut à s'expliquer.
M. Tibbaut. — Messieurs, M. Buyl semblait se féliciter du langage qu'il avait tenu, langage dont on se sert au marché au poisson. J'ai lui ai dit qu'il y avait pris l'attitude du poissard, qu'il s'était servi d'un langage du marché au poisson. (Réclamations sur les bancs de l'opposition.)
M. Smeets. — Il est donc entendu, monsieur le président, qu'on peut, à l'avenir, s'appeler « poissard » (hilarité générale) et, en parlant de l'un ou l'autre, on peut dire : « l'honorable poissard ». C'est du propre ! (Exclamations).
M. le président. — Il faut reconnaître que tout ceci est vraiment déplorable. (Très bien!) Les membres de la Chambre doivent se respecter les uns les autres, et il n'est pas plus permis à l'un de « secouer » l'autre, qu'il n'est permis à celui-ci de traiter celui-là de « poissard ». Ce sont là des expressions inadmissibles.
.....
M. Buyl. — On a eu tort de ne pas écouter les conseils de M. Van Damme, j'aurai l'occasion de le démontrer.
J'ai sous les yeux une lettre poignante : le lieutenant Ingenblick, directeur des études, avait de réelles inquiétudes, et, s'il n'avait pas donné sa signature plusieurs mois avant le départ du premier voyage , il ne serait pas parti, mais c'était un officier de l'armée belge, donc un homme d'honneur. Il a dit : « Je pars pour respecter la parole que j'ai donnée. » (Mouvement.)
M. Buyl. — Sa pauvre veuve m'a écrit notamment ceci:
« Lors du premier départ, mon mari... (Tumulte.) m'a fait part de ses inquiétudes et m'a déclaré que le bateau ne réunissait pas toutes les conditions voulues ». (Bruit sur de nombreux bancs.)
« Lors du premier départ, mon mari m'avait dit, la veille de l'embarquement : « Si malheur m'arrive, tu remettras le dossier du navire à M. le représentant Buy »l.
« Si je n'ai pas satisfait à son désir, c'est que le bateau est revenu sain et sauf de sa première expédition.
« Aujourd'hui, malheureusement les choses ont changé et la terrible appréhension de mon mari s'est trop cruellement réalisée!... » (Bruit à droite.)
M. G. Terwagne. — Et vous n'avez rien dit ; vous n'avez pas parlé?
M. Buyl. — J'ai dit que pour que le navire-école pût produire de bons résultats, il fallait qu'il y eût de nombreuses escales. En effet, ce qui est surtout intéressant pour nos futurs marins, ce sont les entrées et les sorties des ports... C'est parce qu'il n'y a pas eu de nombreuses escales, que ce malheureux officier a succombé presque sans soins. Voici ce que m'écrit encore Mme Ingenblick :
« Je ne fais que satisfaire à la volonté d'un mourant, enlevé aux siens trop prématurément et dont la carrière a été brisée dès son aurore.
« Je ne déplore qu'une chose, c'est que, sur les quatre mois qu'a duré le retour, le navire n'ait pas fait une seule escale pour déposer mon pauvre mari malade. On aurait dû comprendre pourtant que la convalescence d'un typhoïde exige des vivres frais et des réconfortants dont il s'est vu privé; fatalement, il devait succomber manquant du nécessaire ! »
M. Buyl L’heure dès responsabilités a sonné. Vous n'échapperez pas à celles qui pèsent lourdement sur vous, vous n'échapperez pas au verdict du pays. (Mouvement à gauche. — Bruit à droite.)
M. M. Terwagne. —M. le ministre nous a dit qu'il avait fait contrôler par nos ingénieurs les déclarations et les rapports des ingénieurs anglais. Un rapport a été fait par l'ingénieur en chef de la marine belge. Je demande au ministre de publier ce rapport et à le communiquer aux membres de la Chambre.
M. Bernaert. — S'il pouvait être vrai que M. Buyl eût été renseigné là où le gouvernement ne l'était pas, là où la commission administrative ne l'était pas, là où le Lloyd ne l'était pas et là où le capitaine et les officiers du navire ne l'étaient pas, je dis que M. Buyl aurait manqué à son devoir en se taisant, même avant le second départ du navire (applaudissements à droite) et qu'il aurait assumé comme homme et comme député, une responsabilité dont le pays aurait le droit de lui demander compte ! (Nouveaux applaudissements à droite. Rires ironiques à gauche.)
M. Terwagne. - Je tiens à signaler au pays, aux parents des malheureuse victimes de la catastrophe, la conduite inqualifiable de M. Buyl. (Exclamations à gauche et à l'extrême gauche.) Comment! M. Buyl ose venir déclarer qu'il savait tout ce qui allait arriver, qu'il savait que le bateau allait sombrer...
M. Buyl. — Je n'ai pas dit cela !
M. G. Terwagne. — ... que le capitaine du navire lui avait fait ses adieux, et il n'a pas cru de son devoir de faire connaître, soit dans la presse, soit ici, soit ailleurs, que le bateau était exposé à ce grave danger! Je dis qu'en agissant comme vous l'avez fait vous avez commis un crime, monsieur Buyl, et que c'est vous qui êtes seul responsable du désastre qui est arrivé. (Vives protestations sur les mêmes bancs. — Très bien à droite.) Vous en êtes seul responsable parce que, s'il est vrai que vous saviez ce qui allait arriver, vous pouviez l'empêcher.
M. Mechelincx — Je demande de faire porter l’enquête sur les conditions dans lesquelles l'équipage a été recruté et sur sa valeur. (Très bien! sur les bancs de l'opposition.)
M. Van Damme. — Messieurs, je n'ai pas encore pris la parole jusqu'ici et vous reconnaîtrez que mon altitude a été très correcte.
Lors de mon interpellation au sujet du navire-école, j'ai posé plusieurs questions au ministre de l'industrie et du travail. M. le ministre n'a répondu à ces questions (Bruit à droite ) — J'avais dit que la mâture du navire-école était beaucoup trop lourde. (Interruptions.) Allez voir, messieurs, dans les bassins à Anvers: tous les navires du type américain, même ceux d'un tonnage plus fort, ont une mâture légère comme une toile d'araignée. Trois grandes erreurs ont été commises lors de la construction du Comte de Smet de Naeyer.
1.Le navire avait une longueur trop grande en comparaison de sa largeur.
2.Il avait aussi 45 centimètres de trop en profondeur,
3.et, en troisième lieu, sa mâture était beaucoup trop lourde. (Interruptions à droite.)
J'ai encore ajouté que le deeptank était placé beaucoup trop haut. Il était à 1,20 m.au-dessus de la ligne de flottaison. Tout constructeur de bateaux vous dira que le lest doit être placé aussi bas que possible.
M. Van Reelh.— Permettez-moi... (Bruit à gauche) Je demande à M. Van Damme si c'est à un vice de construction du navire qu'il attribue l'accident?
M. Van Damme. — Pourquoi, si le navire-école était construit dans les meilleures conditions, a-t-on jugé nécessaire d'y faire, dès son arrivée à Anvers et avant le premier voyage, des réparations pour au moins 55,000 francs ? Et après la rentrée de son premier long voyage, on a encore apporté au navire des changements jusqu'à concurrence de 50,000 francs.Tout cela ne prouve-t-il pas que le navire-école avait des défauts graves? (Interruptions à droite.)
M. le ministre m'oppose le fameux rapport de ses ingénieurs. (Bruit à droite; interruptions.)
Sans doute, ces ingénieurs sont compétents, je ne le conteste pas, mais ils sont muselés! (Applaudissements à gauche. — Vives protestations à droite.)
M. Francotte, ministre de l'industrie et du travail. —M. Van Damme tire argument des des transformations après son premier voyage de Greenock à Anvers et après son retour de Valparaiso. C'était de simples transformations d'ordre inférieur.
M. Caeluwaert. — On ne fait pas de réparations à un bâtiment lorsqu'il est en bon état.
M. Francotte, ministre de l'industrie et du travail. —Quelles sont ces modifications nouvelles? C'est d'abord l'installation de la lumière électrique:
M. Van Damme. — J'avais réclamé la lumière électrique lors de mon interpellation.
M. Francotte, ministre de l'industrie et du travail. —On a transformé le dortoir, les cuisines, les classes, la pharmacie, d'autres parties encore que j'oublie.
M. Van Damme. — Lisez le rapport de M. l'ingénieur Piérard.
M. Francotte, ministre de l'industrie et du travail. — Je l'ai lu. J'affirme que ni les fonctionnaires de l'administration, ni les officiers du navires, ni les représentants du Lloyd, ni les compagnles d'assurance, n'étaient muselés : les uns et les autres ont exprimé leur opinion en toute liberté. Le gouvernement n'avait aucun intérêt à exercer sur eux quelque pression. Quand on connaîtra les causes de l'accident, on pourra se prononcer sur le point de savoir si le navire a péri oui ou non par suite d'un défaut de construction qu'il eût fallu connaître et corriger : j'attend mes adversaires d'un cœur ferme et tranquille. (Vive approbation à droite.)
M. Janson. — Messieurs, je suis profondément étonné de voir que la demande si simple faite par M. Buyl ait suscité pareil orage. Quelle était cette demande? Tout simplement, une demande d'enquête. Il est certain, que M. Van Damme, dont on ne peut nier la compétence, avait fait certaines objections très sérieuses et très graves. Il s'agit de savoir si la catastrophe a été produite par une de ces fortunes de mer auxquelles il est impossible de résister, ou bien si elle est le fait de causes qu'on eut pu empêcher. Il faut une enquête administrative.
N'essayez pas de faire de M. Buyl un bouc émissaire. Quand je vois toute la droite se lever comme un seul homme et le représenter comme l'auteur de la catastrophe dont d'autres sont peut-être responsables,...
M. Helleputte. — Une enquête aura lieu. En ce moment, nous ne savons qu'une chose : c'est que le navire-école a péri. Nous ne savons rien des causes de l'accident et l'on prouverait vingt fois que le navire-école manquait de stabilité, que cela n'aurait pas de signification tant qu'on ne saura pas exactement comment la catastrophe s'est produite.
Il faut donc attendre. Le navire-école étalt-il suffisamment stable? ne ne l'était-il pas? c'est ce que la suite nous dira.
Et même, si le navire avait manqué de stabilité, je me demande en quoi la responsabilité du gouvernement pourrait être mise en cause. Qu'est-ce que le navire-école? C'est une école professionnelle à laquelle le gouvernement accorde des subsides.
M. Hymans. — C'est le vice de toute l'affaire. (Protestations à droite.) Vous deviez faire vous-mêmes le navire et non pas confier cette organisation à une association commerciale privée. ( Très bien ! sur les bancs de l'opposition.)
M :Helleputte : Quand nous serons fixés sur les raisons du naufrage, nous pourrons parler en connaissance de cause et nous saurons sur qui la responsabilité doit retomber, mais, en tout cas, il ne me parait pas que la responsabilité du gouvernement puisse être engagée !

L'équipage
18 nov. 2021
19 nov. 2021

Comme quoi à l'époque on était déjà gouvernés par des guignols.

Merci à toi pour ce travail de mémoire sur un drame méconnu

19 nov. 2021

iclo420, hé oui, comme tu dis, des "guignols" Rien de nouveau sous le soleil... de Satan! ... tiens c'est le titre d'un livre un peu méconnu de Ferdinand Céline: "Guignol's band". Pour la petite histoire: Céline avait navigué avant la guerre de 40 comme médecin à bord de navires."Il est des nôtres..." (chanson belge)! "Après la déclaration de guerre de 1939, Louis-Ferdinand Céline «va vivre un épisode bouffon, très célinien. En septembre, il devient médecin maritime pour la compagnie Paquet. Il embarque donc sur le Chella, qui assure la ligne vers le Maroc. Mais dans la nuit du 5 au 6 janvier 1940 devant Gibraltar, le navire éperonne par mégarde un aviso britannique. Il y a vingt-sept morts du côté anglais et le docteur Destouches (vrai nom de Céline) soigne les victimes. Le Chella rallie tant bien que mal Marseille.» Céline est en fait volontaire mais trop vieux pour aller au front et invalide à 75% depuis la Première Guerre mondiale après des faits d’arme qui lui valurent des médailles et la quatrième de couverture en couleur de L’Illustré national. Il devient donc médecin de bord sur le Chella, réquisitionné pour des transports d’armes : «Militaire comme tu me connais, tu ne seras pas surpris de me voir devenu médecin de la marine de guerre et embarqué à bord d’un paquebot armé» écrit-il à un de ses amis, le docteur Camus.
Il écrit aussi à René Arnold : «Gibraltar 11 janvier 1940: " À peine venais-je de vous écrire que nous faisions naufrage devant ce port. Heureusement (si l’on peut dire) sauf, mais ayant expédié au fond 24 vaillants anglais. Collision de détroit ! avec explosion - et blessés partout. Quelle nuit ! Quelle longue nuit ! Nous rejoindrons Marseille plus tard et puis je rechercherai un embarquement. Comme la vie est aléatoire!». Enfin il précise, toujours professionnel : «Les médicaments font merveille! après cette nuit dans l’eau que de bronchites guéries, prévenues!».

Feu sur l'épi Dellon, à l'est de l'ancien Lazaret à Sète

Phare du monde

  • 4.5 (106)

Feu sur l'épi Dellon, à l'est de l'ancien Lazaret à Sète

2022