Le naufrage du voilier-école Comte de Smet de Naeyer (9) - samedi 13.

La Belgique, un pays sans grand passé maritime ???

Un retour en arrière peut nous renseigner...
C’est en 1798 que voit le jour l’école de navigation d’Anvers. Trente-deux ans avant l’indépendance du pays, sous l’égide des révolutionnaires français qui ont pris Anvers !
À la chute de Napoléon la Belgique est réintégrée aux Pays-Bas, l’école est fermée, mais réouvre en 1819 pour devenir une institution d´État en 1823 (la Belgique n’est pas encore indépendante, elle le sera 7 ans plus tard).
Un candidat officier y reçoit alors une formation théorique succinte et y passe ses brevets. Cependant la formation pratique est assurée à bord des navires des compagnies de navigation privées.
Anecdote : lorsque j’ai moi-même fait le navire-école en 1968 ( 9 mois à bord), les 3 navires écoles de l’époque appartenaient soit à la CMB soit à l’UBEM (armateurs privés subsidiés par l’État belge).
C’est en 1839, à bord de l’Oriental, que pour la première fois des cadets belges sont embarqués pour un écolage pratique.
En 1858 les cadets naviguent à bord du 3 mâts Léopold 1er, ex-Cecilia, puis sont engagés par l’armateur Van Cuyl. Le Cecilia était un voilier anglais, échoué sur la côte, qui avait été racheté et ensuite réparé dans un chantier maritime d’Ostende.
L’histoire du Léopold 1er est également tragique :
Le 18 décembre 1858 le navire quitte Anvers pour Swansea, où le navire prend un chargement pour Callao au Pérou... et on perd ensuite sa trace... 9 mois plus tard, l’épouse du matelot De Clerck reçoit une lettre de son mari. Il lui écrit que le navire s’est écrasé le 12 avril pendant une tempête sur les rochers Great Jason au nord des îles Falkland. Il est le seul survivant. Le reste de l’équipage, cadets inclus, a péri en mer. Après avoir survécu sur une petite île pendant 23 jours, il a été secouru par le schooner américain « Nancy ».
En 1868, l’armement anversois Cableaux-Wattel reçoit l’autorisation de l’état belge en vue de préparer un navire pour un voyage de 24 mois autour du monde: il s’agit de former de futurs officiers. Cependant des problèmes financiers font échouer le projet.
Et finalement....
En 1902, à Bruges, un comité sous la présidence du comte Charles d’Ursel, se réunit pour doter la Belgique d’un navire-école. Il s’associe à un autre comité bruxellois similaire. Le président en sera le Comte Paul de Smet de Naeyer.
L’ASMAR (Association Maritime) voit le jour, sous le patronage du roi Léopold II. Son capital : 500.000 francs. L’État Belge prévoit une dotation annuelle de 75.000 francs.
De nombreuses critiques se font vite entendre : quel besoin de dépenser de telles sommes alors que la Belgique n’est pas une puissance maritime ?
Cependant le projet se concrétise, 1000 actions sont mises en vente entre 123 actionnaires.
Il s’agit bien d’un projet public-privé.
De nouvelles critiques : les dépenses seront pour le Trésor public, les bénéfices iront aux actionnaires ?
C’est le 28 janvier 1904 que le projet prend forme définitive.
Il s’agira d’un navire neuf, pas d’un navire d’occasion. D’ailleurs, les primes d’assurance d’un navire neuf sont moins coûteuses.
Le navire sera équipé de tanks à ballast pour pouvoir naviguer le cas échéant sans chargement.
Le chantier qui sera choisi ne sera pas nécessairement un chantier belge.
Le navire, avec coque en acier, devra avoir un DWT de 3200 tonnes et être muni d’accomodations pouvant accueillir 80 cadets.
Deux architectes de marine, un allemand et un anglais, sont chargés du projet.
12 chantiers ont fait une offre. C’est "Grangemouth et Greenock" de Glasgow en Écosse qui est retenu. On exige aussitôt de lui qu’il réduise les coûts au maximum.
L’association revoit d’ailleurs une deuxième fois le prix de construction à la baisse, et finalement le contrat est signé le 7 mai 1904.
Des critiques, encore : deux chantiers anversois avaient fait des offres, qui ont été refusées.
Le 17 mai, les deux architectes donnent un avis négatif concernant la forme de la coque prévue par le chantier. Elle est donc modifiée.
Entretemps on rediscute le prix, toujours à la baisse, pour arriver à un montant final de 20.900 livres sterling, qui sera encore réduit de 450 livres si la Belgique prend livraison du navire terminé au chantier même.
Le navire doit être terminé le 30 novembre 1904, moyennant une amende de 1500 livres en cas de retard à la livraison.
Un représentant de l’Association, soucieux de sécurité, s’étonne du contenu total des canots de sauvetage : 120 personnes, soit 60 de chaque bord et exige une augmentation de cette capacité jusqu’à 80 , qui correspond au nombre total de cadets envisagé, mais cette demande est refusée.
Le même représentant fait aussi parvenir une lettre au chantier écossais , exigeant l’utilisation de bois de qualité :
…”We note that you appointed Mr. W. Cairns, a resident marine surveyor to watch the construction of the vessel. Please to give special attention to the reception of the timbers; they must be well seasoned; I suppose that they have been prepared within the four weeks after the contract was signed (17 May). Now that deck planks are 4’´ by 4’’, so as the builders agreed to, without extra, they can be laid on one side or the other, there must not be horizontal (which cannot be seen when deck is laid) or vertical split: a friend of mine last time expended about £3.000 for the renew of his deck, because this was defectuous.”…

Un autre problème fait surface : qui seront les officiers du futur navire ?

Pour l’appel aux candidatures il est stipulé ce qui suit :
Le candidat au poste de commandant devra être titulaire du brevet de capitaine au long cours, parler couramment les trois langues français-néerlandais et anglais et disposer d’une grande expérience de la conduite et la manoeuvre des grands voiliers.
C’est un problème de taille !
Il n’y a pas de commandants de grands voiliers en Belgique à l’époque. Le seul candidat disponible est le commandant Fourcault, qui a navigué sur grands voiliers, mais pas comme commandant. D’ailleurs, en septembre 1904, Fourcault retire sa candidature.
Contact est alors pris avec Johan Zellien, un officier allemand qui a épousé une belge et habite Ostende, mais il n’est pas intéressé par l’offre.
On pense aussi au capitaine Cornillie, autre officier de la Marine de l’État.
Finalement, en octobre 1904, il est envisagé de confier le commandement du navire-école à un commandant étranger.
Ce n’est que le 28 décembre 1904 que Fourcault accepte finalement le commandement du navire pour un salaire mensuel de 750 francs.

On se met aussi à la recherche de candidats-cadets : on en espérait 80 ! Seul 28 se présentent dont 20 sont retenus et le cursus théorique commence le 6 décembre 1904 au « Vieil Arsenal » d’ Anvers.
Le 12 janvier 1905 les cadets rejoignent enfin le navire-école qui est à Anvers depuis fin décembre.

Le nouveau navire est très beau :
81m de long, 12m de large, 7m de tirant d’eau, 3 mâts d’une hauteur de 40 à 45m.
La coque est blanche, les ponts en teck sombres comme les bordés des 6 canots de sauvetage.
Le navire ne dispose pas de machine à vapeur auxiliaire. Trop coûteux ?
Il dispose de 5 cloisons étanches.
Outre les espaces habituels sur un navire, celui-ci est pourvu de salles de classe et d’un hôpital. Deux professeurs, un aumônier et un médecin se joignent à l’équipage.
Les 12 matelots sont logés dans le pic avant, ainsi que le bosco et le charpentier.

Le 20 octobre 1904, quelques jours après sa mise à l’eau le navire chavire dans le dock...
Ceci n’est pourtant pas un fait unique.
La même chose est arrivée successivement à deux 4-mâts français de la compagnie d’Orbigny de la Rochelle : d’abord l’ « Europe » en 1897, alors qu’il est encore en phase de finition à quai, et plus tard à son sistership l’ « Asie », qui chavire à quai dans le port de Portland.

On redresse une première fois le navire belge, mais les câbles se rompent, et le navire chavire une deuxième fois. Les dégâts sont assez importants, la livraison est retardée.
La stabilité du navire est mise en question, elle est contrôlée par des experts qui émettent de sérieux doutes. Il est donc décidé en dernière instance de rajouter au navire des quilles de roulis.

C’est finalement le 22 décembre 1904 que le Comte de smet de Naeyer quitte le chantier écossais à destination d’Anvers sous le commandement conjoint du commandant anglais Madden et du belge Wettere. Il est pris en remorque par le President Ludwig qui tombe en panne... décidément, quand la poisse s’en mêle...
C’est le 29 décembre qu’il arrive à Anvers.
Le 6 février le navire est au quai Jordaens, et les cadets qui sont à bord aident aux préparatifs du voyage.
... L’aventure maritime peut commencer.

L'équipage
13 nov. 2021
14 nov. 2021

Sais tu quels ont ete les travaux effectues entre le premier voyage qui s est assez bien passe (passage du horn quand meme) et le deuxieme ou le navire a coule par temps tres maniable
Deuxieme question quel etait la nature du chargement lors de cecdeuxieme voyage tu l as peut etre indique mais je trouve pas

14 nov. 2021

tatihou:
1.pour les travaux effectués à Anvers (et aussi au Chili au cours du premier voyage), il y a surtout le remplacement de centaines de rivets de la coque,
...et d'autres travaux comme le renforcement des daviers des canots, l'installation d'une nouvelle pompe pour vider les bouchains, révision des clapets des deeptanks, nouvelles vannes d'un type nouveau pour les prises à la mer, installation d'un réseau électrique, etc...
En fait cette liste prouve que ce navire, initialement, ne répondait pas aux critères de sécurité requis!!!
2.Quant au chargement: entre 2000 et 2500 tonnes de sacs de ciment.
Au sujet du ciment je n'arrive pas à trouver la vérité: certains disent que du ciment en blocs avait été ajouté dans les fonds du navire pour augmenter sa stabilité et ensuite on évoque le chargement de ciment pour Port Natal en Afrique du Sud, et ensuite on parle des blocs de ciment qui auraient absorbé l'eau et auraient provoqué la perte du navire... j'opterais plutôt pour plusieurs voies d'eau, cette coque n'était décidément pas étanche, et le chargement de sacs de ciments qui aurait absorbé l'eau jusqu'à saturation, le rendant bottom-heavy (les survivants disaient de lui que son comportement était bizarre et que ses mouvemments étaient saccadés). Ce serait après saturation du ciment que l'eau serait finalement apparue lors des sondages? Bien possible. Il aurait fallu connaître les tirants d'eau matin et soir entre la date du départ d'Anvers, le 11 avril, et le 19 avril, jour du naufrage. Impossible et wishfull thinking comme disent les british.
Je voudrais savoir aussi à quelle hauteur le chargement de ciment arrivait initialement dans les cales! avec l'eau absorbée, il s'est tassé, augmentant encore la stabilité...
En fait un navire relativement instable à la construction périrait alors pour un problème de stabilité excessive... une histoire belge concluront certains.

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